A goûter

« Tout ce qu’elle croit », Anne Lauricella : inventaire fragmenté et fracturé

Voilà bien un étrange récit que je vous propose aujourd’hui, auquel j’ai eu beaucoup de mal à adhérer, malgré une quatrième de couverture accrocheuse et un début de roman captivant. Aucun prénom dans ce texte, juste des pronoms ou des statuts familiaux : elle, son frère aîné, le père et la mère. Une famille lambda en apparence, classe moyenne en appartement et habitudes quotidiennes rassurantes.

Tout ce qu'elle croit

Mais quelque chose cloche dans cette famille : elle, enfant puis jeune fille sage, ne vit que pour et à travers le regard de son père ; ce dernier use et abuse de ses droits envers elle. Manipulée, marionnettisée par cet homme à l’emprise totale sur sa fille, elle fait de son quotidien sa propre norme, forcément en décalage avec celui des autres.

« Elle sait qu’elle correspond en tout à ce qu’il aime (elle s’y applique – elle sait qu’elle y arrive, elle sait intimement, parfaitement tout ce qui lui plaît), elle croit que c’est pour la vie » (p.28)

Mais qu’importe le regard de ses camarades ou des voisins, seul compte l’absolution de son père, auquel il s’avère difficile d’échapper lorsqu’à plus de vingt ans elle décide enfin de voler de ses propres ailes. De s’affranchir, enfin, d’assumer son identité quitte à galérer. La lucidité succède à la naïveté…

« Elle croit de toute façon, quoi qu’elle fasse, qu’elle n’appartiendra toujours qu’à un seul homme » (p.51)

Ainsi, toute la première partie du roman s’organise autour de l’anaphore du verbe CROIRE, à différents temps verbaux, mais tous convergent vers le chemin de croix que son père lui fait vivre.

A ce moment-là, j’étais ferrée, enthousiasmée par la forme littéraire proposée et la pudeur des mots.

« Elle se réhabilite. Se réhabite. Se réabrite. Se réhabitue. Peur à peur. Peu à peu. A vivre. Ce ne sont que les prémices, le chemin sera long (elle n’en sait rien encore, heureusement. Pour l’instant, elle tient) (p.63)

Puis, le texte de changer de forme : place à un long inventaire des différentes pièces des différents appartements de l’enfance et de l’adolescence de l’héroïne anonyme par une voix narrative qui  semble adresser cet inventaire à ses habitants, par l’utilisation de la deuxième personne. Audacieux, indéniablement : de la description semble surgir, à chaque instant, le récit d’une part de vie. Étrange, assurément…

Enfin, retour à la narration, avec une alternance de plusieurs voix narratives pour faire le récit de petits instants de vie d’où semble surgir la rémission aux traumatismes du passé personnel. Mais, alors, je me suis perdue entre ce « je », ce « tu », ces personnes autres que je n’ai pu parvenir à identifier : s’agit-il encore de l’héroïne ? de son enfant ? de son frère ? Alors j’ai définitivement décroché…

Je reconnais à Tout ce qu’elle croit l’ingéniosité narrative et l’audace de la thématique de la relation toxique entre un père et sa fille. Néanmoins, difficile de persister quand le roman offre peu de prises sur les personnages. Peut-être suis-je passée à côté de l’enjeu de ce texte, indéniablement fort. Que l’auteur me pardonne…


Tout ce qu’elle croit, Anne LAURICELLA, éditions Buchet / Chastel, 2020, 296 pages, 18€.

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