A dévorer !

« Festin sauvage », Adrienne Brodeur : sur la vie de ma mère ?

La jeune Adrienne voue un culte absolu à sa mère, la charismatique Malabar. Cette dernière a, jusque là, mené une vie haute en couleurs.

« La mythologie grecque m’avait tout appris sur les sirènes et j’étais émerveillée par les pouvoirs de ma mère. » (p.22)

Festin sauvage

Sans doute la vie maritale de ses propres parents, passionnée et chaotique, l’a-t-elle formatée. Toujours est-il que Malabar est, à quarante-cinq ans et des poussières, divorcée et remariée à un autre homme, Charles, financièrement très à l’aise mais physiquement affaibli par des attaques précoces qui l’ont laissé fragile.

Lors de l’été 1980, Malabar et Charles reçoivent le temps d’un weekend dans leur maison secondaire de Cape Cod leurs amis de toujours, Ben et Lily Souther. Un double inversé du couple d’hôtes : si Ben est un terrien hédoniste, son épouse Lily s’affaiblit chaque jour un peu plus des stigmates d’une grave maladie. Néanmoins, qu’importe les failles ou les forces des uns et des autres, le quatuor fonctionne à merveille.

Mais, dans la nuit, Malabar vient réveiller Adrienne, dite Rennie, pour lui confier que Ben l’a embrassée. Loin d’être offusquée, Malabar est emballée.

« Un baiser – cet éblouissement éclatant, ce qu’il laissait peut-être présager – avait tout changé. » (p.33)

Ne se contentant pas de cette confidence à sa fille, elle lui demande même de devenir son alliée pour fournir des prétextes afin de dissimuler sa liaison avec Ben ou favoriser des rencontres à l’insu des autres.

« Une fois que j’avais choisi de suivre ma mère, il n’y avait plus de retour en arrière possible. Je devins sa protectrice et sa sentinelle, toujours sur le qui-vive pour repérer ce qui risquait de la trahir. » (p.36)

A quatorze ans, Rennie ne voit pas l’immoralité d’une telle requête : au contraire, c’est l’occasion de briller encore plus aux yeux de sa mère et lui prouver son amour inconditionnel.

Alors, pendant des années, Rennie va vivre sa vie dans l’ombre de sa mère, pour que celle-ci puisse vivre pleinement sa liaison avec Ben. Malabar, figure maternelle tyrannique ? Certains passages du récit le font penser. Dans tous les cas, une chose est sûre : elle instrumentalise sa fille pour son propre bonheur.

 » […] mettre une certaine distance avec la fille que j’avais été, une fille si dévorée par sa mère qu’elle ne savait plus très bien où finissait sa mère et où elle-même commençait. » (p.146)

Difficile pour Rennie de grandir, de se construire avec une telle mère. A quelques reprises, elle tente bien de prendre ses distances, mais la quête de reconnaissance maternelle est la plus grande.

« Je ne m’intéressais qu’à ce qui faisait plaisir à ma mère ; je n’avais aucun sens moral. Il me faudrait des années avant de comprendre les forces qui avaient fait d’elle ce qu’elle était et ce que j’étais devenue, des années pour reconnaître le mal que nous avions causé l’une à l’autre. » (p.68)

Une mère peut-elle piéger sa fille pour mieux servir ses propres désirs ?


Autofiction brillante, Festin sauvage est un pur bonheur de lecture, malgré l’immoralité du comportement de Malabar. Adrienne Brodeur parvient à merveille à peindre le portrait de sa mère, muse maternelle qui combat son histoire filiale avec sa propre mère.

Au final, Festin sauvage est un récit à bien des égards touchant, dans la mesure où il questionne la filiation et les schémas familiaux, en particulier lorsque l’on passe d’une génération à une autre. Ainsi, peut-on s’affranchir des figures du passé et de leurs erreurs ?

« Après lui avoir emboîté le pas pendant si longtemps, je n’étais pas sûre de trouver mon chemin si je cessais de la suivre. » (p.279)

L’amour est un thème omniprésent, tant familial que sentimental, avec là encore un questionnement sur la légitimité du choix quant à ceux que l’on choisit d’aimer.


Festin sauvage, Adrienne BRODEUR, traduit de l’anglais (États-Unis) par Laurence Kiefé, éditions JCLattès, 2020, 347 pages, 21.90€.

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