Louise cherche l’amour. Il faut dire qu’à trente-cinq ans révolus, le célibat lui pèse. Les réseaux sociaux, plébiscités par ses amis, ne la tentent aucunement pour trouver l’âme sœur. Alors, elle choisira le moyen le plus archaïque : la petite annonce dans un journal. C’est sans doute l’occasion pour elle d’éprouver l’endurance littéraire et culturelle de ses possibles prétendants. Après tout, l’universitaire qu’elle est ne saurait se contenter d’une correspondance médiocre : « dis-moi comment tu écris, et je te dirai si t’aimer est possible ».
Dans l’impressionnante récolte de missives, la lettre d’un chroniqueur du journal dans lequel son annonce a été publiée retient son attention : l’osmose épistolaire est immédiate ! Seul problème : cet élégant esthète se complaît à décrire ses séances quotidiennes de sport. Or, Louise a laissé il y a bien longtemps et avec contentement son passé sportif de gymnaste en herbe.
Pourtant, comme pour pallier l’absence de ce que l’écriture ne peut physiquement concrétiser, Louise va faire fi de ses désintérêts et autres répulsions pour s’engager tête la première dans l’étude du sport en général. Après tout, n’est-ce pas une projection qui permet de rendre tangible le désir pour ce mystérieux correspondant ? Et le titre de prendre tout son sens…
« Elle voulait aimer, séduire et toucher un corps d’homme. Alors, rassemblant ses esprits et ses forces, elle commença à feindre de s’intéresser à ce qui de prime abord l’avait tant rebutée. » (p.23)
Nos deux soupirants épistoliers vont-ils se rencontrer ? Permettez-moi de garder le mystère entier pour que la saveur de la chute de ce délicieux récit soit sauve.
« S’escrimer à l’aimer », délicate nouvelle qui confirme la plume virtuose de Laure Mi Hyun Croset, questionne la projection amoureuse dans une longue métaphore filée qui, depuis le titre jusqu’au dénouement, reprend pour chaque chapitre une action précise de l’escrime. D’ailleurs, ce sport d’épée n’est-il pas l’archétype de la parade amoureuse ?
Cet adorable récit confère à la fable (je songe à Perrette et son pot de lait de La Fontaine pour le motif de l’excès) ou à la nouvelle réaliste, que n’aurait pas reniée ni Flaubert et encore moins Maupassant. Une dextérité de la brièveté narrative ici éprouvée avec un sens de la formule qui rend la lecture de cette brillante écrivaine addictive.
« Elle avait connu l’incandescence du désir, elle expérimentait l’amour désincarné, élevé, désintéressé, inconditionnel. » (p.46)
Le motif de la rencontre amoureuse, qu’elle soit épistolaire ou virtuelle, nous amène à nous questionner à travers cette nouvelle : devient-on un être de fiction lorsque l’on souhaite plaire à quelqu’un ? Renie-t-on partiellement la réalité de notre identité pour chercher à correspondre à ce que l’autre cherche ? La quête amoureuse n’est-elle pas un équilibre constamment remis en question entre réalité et artificialité / théâtralité / fictionnalité (appelez cela comme vous souhaitez, vous avez parfaitement saisi l’idée). Mensonge amoureux, ou réalité romanesque ?
Notons le motif du prénom « Louise », présent dans le dernier roman de Laure Mi Hyun Croset intitulé Le Beau monde et chroniqué au début du mois.
S’escrimer à l’aimer, Laure Mi Hyun CROZET, éditions BSN Press, coll. Uppercut, 2017, 53 pages.