Nous sommes en 1965. La jeune Alice Weiss quitte sa province natale de Youngstown pour tenter sa chance à New-York et vivre son rêve américain de peut-être devenir, un jour, photographe. C’est aussi le souhait de faire sien ce que sa mère Vivian n’a pas pu réaliser, car trop tôt mariée puis trop tôt décédée…
« A l’image de cette ville, j’étais vivante, prête à saisir les mille opportunités et aventures qui s’offraient à moi. Tout pouvait arriver. Ma vie était sur le point de commencer. » (p.9-10)
Alice peut néanmoins compter sur le soutien d’une amie éditrice de feu sa mère, en la personne d’Elaine Sloan. Cette dernière la met en relation avec Helen Gurley Brown, charismatique petit bout de femme qui a hérité de l’emblématique magazine féminin de l’époque : « Cosmopolitan ». Le problème, c’est que ce dernier est en train de péricliter et que les idées d’Helen, résolument novatrices, sont aux antipodes de la conception patriarcale du magazine que se font les pontes du siège de Hearst. Il faut dire que, forte du succès de son roman autobiographique Sex and the single girl, Helen Gurley Brown défend une libéralisation des mœurs féminines afin de faire tomber le carcan moral qui emprisonne jusque là les femmes dans leur rôle de bonne épouse et de mère dévolue. C’est décidé : il sera ouvertement question de sexe, de désir, de techniques et de problématiques féminines révolutionnaires pour que « ses filles » y trouvent de quoi s’épanouir.
Pourtant, tous les prétextes sont bons pour entraver les démarches d’Helen et creuser la tombe de Cosmo : budget réduit, démissions en chaîne, « fuites »… Mais Helen tient bon et Alice se dévoue corps et âme pour l’assister au quotidien en tant que secrétaire.
« Il était évident que les cadres de Hearst souhaitaient freiner Helen Gurley Brown dans ses projets, mais je ne comptais pas leur faciliter la tâche. Qu’importent mes réserves devant certaines de ses idées. Si jusque là je l’avais soutenue, je voulais à présent qu’elle les batte à leur propre jeu et qu’elle les écrase. » (p.58-59)
Park Avenue Summer est donc la success-story de Mme Brown, ce qui fait du roman une œuvre de fiction historique passionnante. Le fonctionnement du magazine, de sa conception à sa réalisation en passant par la recherche d’annonceurs, est très bien documenté. La fiction est surtout incarnée à travers le parcours initiatique d’Alice : pendant quelques mois, elle est confrontée à des choix de vie conférant au dilemme, tant professionnel qu’amoureux.
« Cela me poussait à m’interroger. Etais-je aussi passionnée par la photographie qu’elle l’était par Cosmopolitan ? J’avais été témoin de l’enfer qu’elle avait parfois vécu, des revers et des déceptions qu’elle avait dû subir. Sans crainte du ridicule, elle avait franchi les obstacles les uns après les autres. Dire que moi j’étais trop peureuse pour m’inscrire à des cours de photographie. Je compris à cet instant que si je voulais un jour réaliser mon rêve, il fallait que je sois aussi forte qu’elle et déterminée à tout faire pour réussir. » (p.338)
La lecture du roman est très agréable mais je relève un bémol notable : le récit est supposé se dérouler en 1965. Or, à part quelques références à l’époque (marques, styles vestimentaires…), l’écriture est telle que l’action pourrait être transposée en 2020 sans que cela pose le moindre problème (« Il était torse nu sur le seul de son studio, son jean à moitié boutonné et les cheveux ébouriffés » p.395). Le charme suranné est donc très limité et le style est résolument trop moderne pour être crédible en 1965. Dommage…
Park Avenue Summer, Renée ROSEN, traduit de l’américain par Valérie Bourgeois, éditions Belfond, collection Le Cercle, 2020, 416 pages, 21.90€.
Un grand merci aux éditions Belfond pour leur confiance et l’envoi gracieux de ce sympathique roman.