Sylvie Meyer a 53 ans et mène depuis des années une existence simple, modeste. Un quotidien banal et quelque peu morose auprès de ses deux fils mais aujourd’hui loin de son mari puisque ce dernier a décidé de partir. Un quotidien laborieux en tant que superviseuse à l’ajustement dans l’usine de caoutchouc où elle travaille sous la direction de Victor Andrieu.
Pourtant, même sans éclat(s), cette vie semble lui convenir. Ou plutôt se contente-t-elle de s’en satisfaire sans chercher plus, sans chercher ailleurs, sans vouloir autrement…
Seulement, lorsque son patron lui demande d’être l’œil de Moscou afin de déterminer les têtes à éliminer face aux difficultés économiques grandissantes de l’entreprise, la machine s’emballe.
« Tout était logique, tellement logique. Et si cela ne l’était pas encore, ça allait le devenir, comme une explosion. Une explosion qui se prépare. La masse de travail à accomplir, la surveillance des employés, la peur du lendemain, les commandes à gérer, les clients perdus, ceux à séduire : tout s’est accumulé. » (p.19)
Les rouages tant personnels que professionnels de la vie de Sylvie Meyer se coincent et l’amènent tout droit à ce qui pourrait relever d’un coup de tête irrationnel : elle prend, le temps d’une nuit, son patron en otage. Revenue à la raison, elle n’en est pas quitte pour autant et la société lui demande de rendre des comptes.
Au final, Sylvie Meyer n’est-elle elle-même pas prise en otage par tout un système, prisonnière des diktats qu’impose l’archétype d’une vie réussie ?
« Je n’étais plus vraiment libre. En tous les cas je n’en avais plus le sentiment. On n’est pas libre sans amour, sans désir, pas du tout. On est prisonnier de son corps. On est prisonnier des autres, de l’entourage. On est prisonnier du monde. » (p.29-30)
Le roman, tout entier mené comme un flux de conscience et de déambulation mentale, nous conduit au mythe destructeur de la vie de notre héroïne, la prise d’otage originelle qui sans doute l’a enfermée à jamais dans un carcan étouffant.
En prenant en otage son patron, peut-être Sylvie Meyer fait-elle voler en éclats sa propre prison. Mais l’affranchissement est-il au bout de ces chaînes ? Pas sûr…
« Je n’étais pas justicière, mais je me sentais investie d’une mission, peu en importait l’issue, pour une fois j’étais emportée, tendue vers l’avenir. » (p.95)
Otages, Nina BOURAOUI, éditions JC Lattès, 2020, 152 pages, 18€.