
A Savannah, il est de bon ton de cultiver l’entre-soi, surtout lorsque l’on appartient depuis l’enfance au même cocon doré. Mariages passablement arrangés, rencontres continuelles des « clans » au golf ou au club, fêtes dantesques où l’argent coule à flot : une opulence élégante de tous les instants.
Mais lorsque le plus aisé d’entre tous, William Radford, revient d’un séjour en Europe après la mort de sa femme, tout ce beau petit monde qui cultive le politiquement correct est bouche bée : à son bras, il découvre la très jeune et sculpturale Keisha, une Anglaise à la peau d’ébène aussi spontanée que bombesque.
Cette nouvelle épouse fait quelque peu froncer les sourcils des uns et des autres, tant elle est aux antipodes de la première femme de William. De plus, le fait qu’elle fasse tourner les têtes des autres hommes n’est pas du goût des autres élégantes de la société, dont Marcie fait partie. Elle aussi a épousé en secondes noces Jason, le meilleur ami de William. Et Jason ne semble guère insensible au charme de Keisha.
Les premiers pas de cette dernière sont autant de faux-pas qui pourraient peu à peu faire regretter à William son mariage coup de tête. La pauvre Keisha peine à trouver des alliés. Pourtant, elle qui a quitté son sombre passé en espérant une vie dorée, réalise très vite qu’un océan ne met pas à distance les fantômes qu’elle pensait avoir laissés.
« Grattez la surface et le passé ressort toujours, n’est-ce pas ? Et c’est le passé qui fait ce que nous sommes. » (p.423)
Si une bonne partie du récit est narrée à travers le regard de Marcie, il faut dire que son parcours est, on le découvre peu à peu, sensiblement identique à celui de Keisha. Alors, la rivale initiale ne pourrait-elle pas trouver grâce à ses yeux ?
« Tout s’était renversé, toute sa haine s’était envolée. Elles étaient pareilles, c’était évident. Toutes deux issues de la plèbe, toutes deux plus jeunes que leurs maris qui essayaient de les enfoncer dans un moule qui les broyait. Seules, toutes les deux. Cela dit, il y avait aussi des différences. » (p.131)
On ne peut en dire plus, sinon que ce récit est littéralement la description de l’enfer au soleil : sous le masque des convenances et de la bienséance, la réalité n’est pas toujours reluisante. De plus, les rebondissements s’avèrent redoutables, jusqu’à la dernière ligne, et diablement bien pensés.
« ils étaient tous vénéneux, d’une manière ou d’une autre, et elle seule, peut-être, était assez honnête pour le reconnaître. » (p.217)
Enfin, quand la tradition séculaire du vaudou en ces terres de Caroline du Sud devient un ingrédient savamment distillé à la narration, le lecteur ne peut que trembler, à l’image des différents protagonistes.
« Peut-être étaient-ils tous maudits d’une manière ou d’une autre. » (p.267)
Vous l’aurez compris : on a là un redoutable page-turner, fort bien troussé, qui se joue des codes de la bonne société. Délectable.
Ma nouvelle voisine, Sarah PINBOROUGH, traduit de l’anglais par Paul Benita, éditions PRELUDES, 2020, 441 pages, 18.90€.