
Louise est mariée depuis vingt-trois ans à Philippe Dumont, un homme politique qui a su gravir les échelons du pouvoir et devenir secrétaire d’État. Refusant toute complaisance dans un style de vie bourgeois qui serait fait, comme il est de coutume, de réceptions et de ronds de jambe, Louise a toujours laissé son époux œuvrer seul dans son domaine, tandis qu’elle se consacrait l’écriture de romans, jouissant d’une réputation littéraire solide.
Mais un jour, Louise découvre que Philippe est impliqué dans une sombre affaire de pot-de-vin et de favoritisme. Se désolidarisant immédiatement de lui et forte du constat de la décrépitude de leur mariage, elle demande le divorce et se réfugie dans le Perche, dans la tranquille et paisible campagne normande où vit sa mère.
« A son âge, cette perspective lui donne envie de pleurer, mais l’urgence est de s’éloigner. De s’extirper de ce cauchemar. De digérer ce qu’elle vient de découvrir sur Philippe et qui embrouille tout. Elle s’est tellement trompée. Tous ses renoncements, tous les compromis accumulés au fil du temps remontent à la surface et lui font l’effet d’un électrochoc. » (p.17)
« Les trois cent mille dollars, le compte dans un paradis fiscal, les mensonges, c’est assez pour achever un amour dans lequel l’amour s’est déjà enfui. » (p.36)
Pourtant, même si Louise n’a strictement rien à voir dans les machinations douteuses de son ex-époux, elle ne tarde par à subir l’ire de la vindicte populaire : inexplicablement, la belle réputation dont elle était auréolée devient brutalement une tare, car on l’accuse d’avoir été pistonnée. De même, son ascendance juive est mise à jour et conspuée. Effarée, elle constate que ce qu’elle est est totalement mis en charpie par des inconnus qui n’hésitent pas à surenchérir sur les réseaux sociaux. Même ses amis se détournent d’elle : et Louise de comprendre la vanité de la vie parisienne et tous ces masques érigés qui sans prévenir font volte-face.
« La voilà pourtant punie pour une faute qu’elle n’a pas commise. Au centre d’un débat qui lui est étranger. » (p.61)
Humiliée, bafouée, insultée, Louise se terre dans l’anonymat le plus complet et dans l’ignorance de la cause d’un tel acharnement. Pourquoi est-elle traînée dans la boue alors qu’elle ne savait objectivement rien des embrouilles douteuses de son mari ? Au nom de quoi doit-elle se justifier de faits qu’elle ignorait ? Comment des photos du passé peuvent-elles être détournées de façon éhontée pour mieux l’accabler ?
Louise peut-elle espérer une issue pour échapper à l’opprobre ?
« Les regards méprisants, les amis évanouis, les accusations de toutes sortes, les injures, son écriture remise en question, toute cette boue déversée sur elle jour après jour est un poison qui s’immisce en elle. Ne demeure que le doute, la peur, le dégoût, la sidération. » (p.141)
Anaïs Jeanneret narre simplement et efficacement une chasse aux sorcières modernes : l’entourage du coupable devient contagieusement aussi blâmable que l’accusé. Or, quid de la présomption d’innocence ? Pourquoi cette précipitation si française à faire tomber ceux qui ne sont que des victimes collatérales ? Comment expliquer le fait de se retrouver déposséder de ce que l’on a, de ce que l’on est, lorsque le tout-à-chacun s’empare de chaque morceau de votre vie, une vie mise en pâture sur une toile funeste ?
« Comment se défendre face à la mécanique infernale des réseaux sociaux ? L’anonymat autorise la diffamation et la haine en toute impunité, elle a pu en juger. L’anonymat s’est immiscé au cœur de la liberté d’expression comme un poison et Louise n’a pas trouvé l’antidote. » (p.96)
Une nouvelle fois, un roman condamne les ravages des réseaux sociaux et démontre comment ces derniers transforment de simples inconnus en victimes immolées dans le feu de la vindicte populaire. L’ère moderne est d’un archaïsme qui s’ignore : tout reste prétexte à la crucifixion virtuelle. Consternant…
« Au-delà du défoulement, la haine est devenue un moyen d’expression comme un autre. Elle semble sans limites, banalisée, décomplexée, auto-justifiée et nourrie par le conspirationnisme et la misère humaine. » (p.137-138)
Dans l’ombre des hommes, Anaïs JEANNERET, éditions Albin Michel, 2021, 205 pages, 17.90€.
Complètement d’actualité !
J’aimeAimé par 1 personne