
Après l’essai chroniqué cette semaine sur la misandrie, j’enchaîne avec un récit que l’on lit à toute vitesse sur un sujet tabou : les hommes battus. Car oui, ils existent. Et, bien souvent, la honte d’être violenté par leur compagne les muselle. Aveu de faiblesse ? Ignominie de ce renversement « des rôles » ? Autant de questions auxquelles Nicolas Robin essaie de répondre dans son roman.
Jean-Michel, talentueux agent immobilier de 35 ans, est en couple depuis trois ans avec Marylène, une jeune femme ambitieuse qui travaille dans l’édition. Avec un amour tout paternel, il s’occupe avec cœur et dévouement d’un enfant qui n’est pas de lui, et que pourtant il adore comme si c’était le sien : le petit Antonin.
Cette cellule recomposée comme tant d’autres vit les moments de la passion originelle puis s’installe dans un cadre de vie plus traditionnel, les assises familiales ayant été posées. Jean-Mi passe outre le refus de Marylène d’adopter le petit, passe outre son refus de toute union, fait fi de cette possession parfois vorace dont elle entoure son fils dans des élans proches de la jalousie. Après tout, c’est elle la mère, sans doute a-t-elle ses raisons ?
« Il te faut marquer ton empreinte, affirmer ta position de gestionnaire en chef et me rappeler qui a le dernier mot dans cette maison. » (p.29)
Mais, lorsque Marylène gifle un jour Jean-Michel pour un pull malencontreusement passé en machine, l’homme s’interroge : est-ce qu’un tel incident valait une telle violence de réponse ? Hélas, ce qui n’aurait pu être qu’une impulsion déraisonnée devient habitude : Marylène attend Jean-Michel de pied ferme dès qu’elle le peut pour le rouer de coups pour des motifs souvent futiles.
« La violence s’était immiscée pour une cause dérisoire. Une fissure qui devenait un gouffre d’où s’élevait de la lave en fusion. » (p.12)
Lui ne riposte pas : hors de question de se laisser aller à la violence envers une femme. Il pare les coups, lui le rugbyman à ses heures perdues, bonne excuse pour expliquer à l’agence, à l’hôpital ou aux copains les multiples contusions qui lui déforment le visage.
« Je préfère battre en retraite plutôt que de te frapper comme ces abrutis qui envoient leur femme dans un hôpital ou dans un refuge. Alors toi, pourquoi tu te défoules sur moi ? » (p.72)
Pourquoi cette violence ? Un aveu de désamour ? Qu’elle le quitte que diable ! Une déclaration de guerre ? Jean-Michel n’a pas en lui l’âme militaire avec laquelle son père l’a élevé pour riposter. Quelles failles Marylène a-t-elle en elle pour s’acharner sur Jean-Michel ? Comment expliquer le déchaînement des coups, gratuits, sur son compagnon ? Drame(s) personnel(s) ? Vengeance ?
« La violence est apparue incolore, insidieuse, avant d’éclabousser les murs. D’abord une remarque désobligeante, ensuite des reproches au sujet de miettes laissées sur la table. Et puis un jour, les gifles, distribuées entre mes manquements et mes oublis. Je croyais que ce serait passager, que tout allait redevenir comme avant. Et plus tard un coup de pied, un cendrier lancé à la figure comme on lapide un condamné. Elle me cogne pour canaliser la tempête qui prend toute la place dans sa tête. » (p.102)
Lui ne veut pas partir : il aime trop le petit Antonin, mais il sait aussi qu’il n’a aucun droit sur lui. Peut-être est-ce sœur Solange, nonne atypique qui arpente l’esplanade de la Défense, qui pourra judicieusement le conseiller sans le juger ? Car comment oser porter plainte quand on est un homme ? Comment courir le risque de passer pour le salaud qui le premier a dégainé les poings sur sa femme pour en recevoir en retour ? Car c’est bien comme cela que ça se passe en général, non ? Comment faire preuve de bonne foi, être entendu et surtout cru ?
Jean-Michel incarne le dilemme de ces hommes muselés par la honte, la peur et le manichéisme de la société scindée entre masculin et féminin, le patriarcat bien souvent mis à mal ces dernières années par l’ascension de voix dissidentes.
Il n’y a pas de place pour une autre version de l’histoire. Dans les faits divers, l’homme a le monopole du statut de tortionnaire. L’inversion des rôles est ahurissante. Elle dérange, perturbe, pousse à la moquerie. » (p.162)
Nicolas Robin porte haut et fort le cri de désespoir et les élans de courage d’un héros fictif emblématique d’une minorité d’hommes (mais d’hommes quand même) qui sont battus. Un éclairage pertinent pour ne pas faire oublier que les victimes sont aussi parfois masculines. Au-delà de cela, un combat par les mots pour que cesse la violence dans les couples : que l’on se quitte plutôt que l’on se frappe lorsque l’affection cède la place au désamour. Autant de victimes épargnées que de coups retenus…
« Au départ, c’était juste une claque, sous le coup d’une impulsion démesurée, puis c’est devenu une sale habitude. Combien en ai-je reçu ? Je ne sais plus? Tu pouvais être charmeuse, pleine de douceur, et nourrir en ton sein un être dur et cassant. » (p.219)
La claque, Nicolas ROBIN, éditions ANNE CARRIÈRE, 2021, 253 pages, 19€.
Oui malheureusement, cela existe aussi dans l’autre sens. Et on peut comprendre le côté tabou… comment un homme peut aller porter plainte sans craindre de ne pas être pris au sérieux, être sûr de trouver une oreille attentive et compatissante ?
Merci pour ton analyse. 😎
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