
Camille de Brochant, belle et talentueuse avocate, a choisi de s’unir à Laurent Dupuis, un journaliste de classe sociale plus modeste. Sauf que, échaudé par le divorce de ses parents, Laurent ne veut pas de mariage. Alors, le couple a choisi le compromis, en se pacsant. Une décision qui lui va très bien, l’objectif étant d’avancer pas à pas, avec pour témoins un cercle réduit d’intimes.
« Fabrice connaissait mieux que personne les fragilités de Laurent. Enfant de divorcés comme lui, ils avaient souvent parlé de ce naufrage familial, de ces adultes qui pouvaient passer en quelques mois de l’amour infini à la haine la féroce. […] Laurent, par crainte de tomber dans ce travers, ne voulait pas entendre parler de mariage ou de tout autre lien formel. » (p.37)
Néanmoins, les parents de Camille, Virginie et Gauthier, ne l’entendent pas de cette oreille : fruits de la bourgeoisie ancestrale de province, ils ne peuvent concevoir que leur petite chérie n’ait pas une cérémonie digne de ce nom, à défaut du mariage dont ils rêvaient tant. Alors, ils imposent la bénédiction à l’église, deux cents invités dans leur magnifique propriété et pas moins que leur ami chef étoilé pour sustenter les bouches délicates.
Camille n’ose pas s’opposer à la volonté de ses parents, tandis que Laurent fulmine de se voir déposséder de ce jour si unique. Sous couvert d’une grande générosité à régaler toute l’assemblée, les de Brochant n’assouvissent-ils pas leur rêve égoïste d’apparat ?
« il en avait MARRE, Laurent ! Marre qu’ils décident de tout, tout le temps à leur place : pour leur Pacs, pour cette réception dans laquelle ils ne connaissaient pas les trois quarts des invités et pour laquelle ils n’avaient même pas eu leur mot à dire » (p.181)
On l’aura compris, ce délicieux récit oscille entre comédie sarcastique et drame. On se régale des atermoiements de certains invités, des employés et extras du jour ; on frémit lorsque les deux milieux sociaux se croisent, le crime de mésalliance effleurant presque les lèvres du clan Brochant. La fête qu’est le Pacs est aussi le prétexte à réflexion sur les desiderata de chacun, quitte à rompre l’illusion jusque-là prégnante. Aussi, les « défaites » du titre sont-elles les révélations diverses et variées relatives aux différents personnages qui ponctuent le récit et qui donnent au récit toute sa saveur : personne n’est vraiment à la noce, au final…
« En fait, tu veux que te dise, c’est à eux que ça fait plaisir, pas à nous… » (p.229)
Autre point notable, et de taille : ce récit d’Antoine Cristau est polyphonique. Ainsi, à chaque page, un nouveau personnage, que l’on distingue par une typographie différente de la précédente. Originalité savoureuse : chaque page (car la « prise de parole » ne dure pas plus qu’une page) s’achève sur un mot sur lequel la page suivante enchaîne avec une expression liée, mais assumée par un autre personnage. Excellente trouvaille, qui crée une certaine gymnastique de lecture, mais qui, à aucun moment, ne perd le lecteur.
Ce récit est un pur régal, en cette saison des mariages qui reviennent, enfin ! Une façon d’aborder une thématique légère avec une grande pertinence littéraire, qui ne peut que conquérir les lecteurs, même les plus difficiles, même les plus désabusés, comme les invités !
Fête et défaites, Antoine CRISTAU, éditions du CHERCHE MIDI, 2021, 255 pages, 18€.
Intéressant ce roman, sur divers points ! Les différences sociales, la manipulation familiale (qui n’a pas entendu parler dans son entourage ?), les désaccords dans le couple… et cette façon d’écrire, une page par personnage… Je prends note bien sûr 👍
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Addictif ! Je te le conseille chaleureusement ! 🙂 Ca ne peut que résonner chez nombre de lecteurs !
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