A croquer

« L’homme battu », Olivia Koudrine : dépossession au masculin

Justine a toujours vu sa mère mépriser, humilier, rabaisser son père, le pauvre Jérôme, « pris au piège » en Martinique par la grossesse imprévue de celle qui sera sa femme quelques années après. Une femme despotique, tyrannique qui, au quotidien, n’a eu de cesse d’ôter à son époux les moindres petits plaisirs de la vie : partager un canapé avec sa femme et sa fille, border la petite Justine dans son lit, utiliser un téléphone portable… Toutes les occasions ont été bonnes pour lui faire une crise et, accessoirement, le frapper.

« Masquées à propos par les sourires de façade, ravalement provisoire, la duplicité et la perfidie viscérales de ma mère échappaient au plus grand nombre. » (p.153)

Sauf que, éduquée dans cet environnement toxique, Justine ne parvient pas à se faire une image glorieuse de son père : pour elle, c’est un dégonflé, qui ne parvient pas à tenir tête à son épouse. Pire, il lui fait honte, à se conduire ainsi en chiffe-molle.

« Non seulement j’avais méprisé ma lopette de père, mais, surtout, j’avais cautionné les méfaits de sa tortionnaire. » (p.28)

« Sous le tapis, la maltraitance quotidienne subie par mon père. Mon père, cette partie de mon être qu’elle m’incitait à mépriser et qu’elle utilisait ensuite comme une arme de destruction massive. » (p.175)

Il faudra attendre son enterrement, suite à un cancer précoce, pour que la fille saisisse toutes les opportunités manquées avec son père. Une terrible désillusion qui ravive ses errements d’adolescente : comment se construire lorsque l’on est enfant puis jeune fille en ayant sous les yeux, au quotidien, une figure masculine reléguée à n’être qu’une marionnette ? Alors, Justine a multiplié les coups d’éclats, a testé ses limites à l’abri du regard parental.

Une fois son père enterré, les souvenirs affluent et ravivent tous les indices qui étaient sous ses yeux et qui prouvaient que sa mère maltraitait son père. Alors, l’objet de sa colère, de sa haine, devient sa mère. Le sentiment d’injustice, bien que tardif, n’en est que plus violent.

« Jamais je n’avais été à la hauteur. Je voudrais tant revenir en arrière. » (p.19)

Entre réhabilitation d’un père toute sa vie bafouée et désacralisation d’une mère despotique, Justine, à 21 ans, fait l’expérience du retour aux origines, à défaut d’une possible réécriture du passé. Une quête et une enquête douloureuses au cours desquelles elle se construit elle aussi en tant que femme. Parcours initiatique et genèse familiale douloureux, ce récit se distingue par sa force et son ton.

« Bien que j’aie appris à l’aimer, je ne serai jamais fière de mon père. » (p.212)


L’homme battu, Olivia KOUDRINE, éditions du CHERCHE MIDI, 2021, 249 pages, 18€.

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