A dévorer !

« Mon mari », Maud Ventura : aimer à perdre la raison ou la névrose conjugale moderne (Rentrée littéraire 2021)

Notre héroïne du premier roman de Maud Ventura n’a qu’un seul problème existentiel dans sa vie, mais quel problème : elle aime démesurément trop son mari. Insolite, n’est-ce pas ?

Non, le problème, c’est que notre épouse aimerait que son mari l’aime autant qu’elle l’aime, en ne commettant aucun impair, même inconscient, afin que chaque moment soit digne d’un idéal amoureux qu’elle s’est fixée elle-même.

Cependant, en quoi est-ce un problème me direz-vous ? Ce n’est pas l’excellente situation professionnelle de son époux, ni son sérieux conjugal, ni la sagesse de leurs deux enfants, ni leurs quinze ans de mariage, encore moins leur coquette maison ou leur train de vie qui posent question.

« Je vis dans la peur de le perdre. Je crains à chaque instant que les circonstances tournent mal. Je me protège de menaces qui n’existent pas. » (p.11)

Sauf que le mari en question se contente parfaitement de leur amour tel qu’il est, car cela lui convient sans qu’il ait besoin de s’interroger sur la « quantité » d’amour à donner : une affection tendre, mesurée, des cadeaux de temps à autre, des compliments, des gestes discrets mais certains…

« Je ne peux rien espérer de plus, je ne peux rien espérer de mieux, et pourtant le manque que je ressens est immense et j’attends de lui qu’il le comble. » (p.13)

Alors, elle traque tous les manquements de son époux et les note dans un de ses nombreux carnets qu’elle tient pour consigner tout ce qui pourrait garantir la pérennité de leur amour.

« Je ne rédige rien. Tout tient en une ligne ou deux, et le remède à mon angoisse ou à ma colère m’apparaît, limpide. C’est une drôle d’habitude dont je n’ai jamais parlé à personne, mais écrire me fait du bien. » (p.85)

Le carnet en question dans lequel elle note les impairs de son mari a pour but de lui permettre de mettre en place une punition en adéquation avec ce que son mari a fait (ou pas). Ainsi, s’il se couche sans daigner lui souhaiter une bonne nuit, elle cachera un de ses dossiers pour qu’il l’appelle le lendemain et que cela crée une rencontre. Ce n’est là qu’un exemple, mais les punitions sont proportionnelles au courroux – toujours discret, jamais affiché – de notre Phèdre des temps modernes : l’ultime punition (à découvrir) est aux antipodes d’une relation conjugale saine, et confirme une héroïne bourrée de paradoxes, et donc totalement névrosée.

Mais est-ce un défaut que de trop aimer ? Est-ce condamnable de trop exiger de l’autre un amour inconditionnel qui garde la flamme des débuts malgré l’usure normale du temps ? Car notre héroïne se targue de demeurer la même femme qu’au début, impeccable, entièrement et absolument dévolue à son mari. Toutes ses actions et ses pensées ne sont orientées que vers une personne : son mari et l’image de l’amour parfait qu’il aura d’elle.

« Quoi que je fasse, mon mari est ma référence, mon échelle de mesure, mon niveau de la mer. » (p.187)

Bien évidemment, se pose dans le récit la question de la motivation de la volontaire soumission de cette femme aux antipodes de tout credo féministe. Mais comment son mari pourrait-il répondre à ses attentes démesurées s’il ne se doute pas de l’obsession de sa femme, obsession qui l’amène même à regretter le temps que ses enfants lui font parfois perdre auprès de son mari. Un comble !

« Quand je pense à mon propre bonheur, il se conjugue systématiquement à deux : nous sommes seuls et nous sommes deux. Je n’y peux rien si mon paradis est le couple, le duo, la paire. » (p.97)

Le récit, d’une drôlerie fantastique, d’une écriture jubilatoire, nous fait vivre une semaine de la vie de cette femme, au demeurant tranquille professeur d’anglais en lycée et traductrice. Du lundi au dimanche, selon une couleur attribuée à chaque jour, du lever au coucher, elle traque les manquements de son mari, rumine et met en place mille et une stratégies pour mieux s’assurer l’amour de son mari. Mais le peut-elle ? Son mari peut-il humainement et consciemment combler ce qui peut-être en elle relève d’une béance ? Le dénouement, assumé par la voix narrative du mari, vous laissera sans voix : pertinent à souhait, astucieux, inattendu et délectable !

Quand l’obsession amoureuse, les névroses conjugales sont traitées avec un détachement ironique à souhait, on se délecte !

« les écrivains ne pourraient-ils pas raconter l’histoire d’un mari et une femme qui s’aiment d’une passion débordante ? L’amour conjugal est-il si peu romanesque ? » (p.268)

Ce premier roman est un pur bijou ! Une belle entrée dans la rentrée littéraire 2021 Maud Ventura !

Mon mari, Maud VENTURA, éditions de L’ICONOCLASTE, 2021, 351 pages, 19€.

3 réflexions au sujet de “« Mon mari », Maud Ventura : aimer à perdre la raison ou la névrose conjugale moderne (Rentrée littéraire 2021)”

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s