
Mon calendrier de lecture tombe plutôt bien avec celui de nos politiques actuels, à quelques mois à peine d’une nouvelle élection présidentielle française. Et que dire sinon que je me suis régalée de ce journal intime fictif d’une épouse de politique, mêlant euphorie, désarroi, doute, chagrin et exaltation.
Marie V. est mariée à Paul, un homme politique qui a déjà tracé sa route sur l’échiquier du gouvernement en ayant été par le passé Premier Ministre. Or, Paul se voit bien tenter l’aventure de la Présidence, motivé par un solide programme en lequel il croit farouchement.
« Le compte à rebours est lancé : J – 726 ! Paul sera encore un peu à moins à nous et un peu plus aux autres. Mais il a l’air si sûr, si heureux. J’aimerais tenir le journal du fil tendu de notre vie jusqu’à cette cible. » (p.12)
« Ainsi, notre vie pourrait basculer en moins d’une année et demie, alors que rien ne nous y oblige hormis notre goût de l’engagement, du risque, de l’amour de notre pays. » (p.63)
Sa décision prise, c’est toute sa famille qu’il entraine avec lui dans un marathon fait de meetings, d’événements officiels, d’interviews pour la presse écrite ou la télévision. Marie, la brillante spécialiste de la Russie qui a choisi de mettre sa carrière entre parenthèses pour s’occuper de leurs quatre enfants et se faire pilier de roc pour son mari, demeure la femme de l’ombre, à dessein. Elle sait ce que représente sa présence silencieuse et rassurante pour celui qu’elle aime tant, cet homme épuisé, ébranlé par les accusations et les infamies qui le / les déstabilisent.
Car comme pour tout homme politique, rien n’échappe à la presse, et les petites mesquineries vont bon train. On déterre ainsi des comptes bancaires hébergés au Luxembourg ; l’adultère de Paul avec son éditrice est révélé au grand jour et éclabousse Marie de l’humiliation la plus dévastatrice qui soit. Mais Marie reste digne, drapée de sa croyance en son époux, de son amour, de sa fidélité. Bien sûr, elle doute, elle souffre, le cœur meurtri par les trahisons dont elle est la victime. Mais elle n’a de cesse d’afficher ses convictions, ses valeurs : elle sait qu’elles triompheront.
« L’humiliation force à s’interroger sur la femme que l’on veut être. Et la jalousie contraint à s’interroger sur la femme que l’on n’est pas ou que l’on n’a pas su être. » (p.85)
Alors, dans un décompte parfois douloureux, souvent intenable, Marie couche sur le papier ses joies, ses peines et ses doutes, jusqu’au jour J : celui de la victoire de l’élection ? de la défaite de la déroute ? Quand un homme politique entraîne avec lui tout son cercle intime, comment faire efficacement front ? comment protéger la cellule familiale des attaques extérieures et des coups bas ?
« Pourquoi s’acharnent-ils ainsi sur nous ? En quoi sommes-nous si différents ? » (p.114)
« De notre vie tous ensemble, flétrie, asservie, qui ne sera plus jamais la même. » (p.148)
Formidable et intelligente plongée vibrante dans le quotidien d’une femme de politique, le récit de Caroline Lunoir honore ces dames de l’ombre parfois douloureusement éblouies lorsque les projecteurs se braquent sur elles…
« En fait, si je dois être honnête, je crois que j’ai aussi peur de ce que pourrait révéler mon portrait en creux. En creux. C’est terrible. C’est comme si je craignais de n’être pas qu’une femme de l’ombre, mais… une ombre. » (p.18)
Nous retiendrons que Première dame est avant tout un récit de croyances : celle, politique, de pouvoir changer le visage de la France, d’insuffler à un pays à l’âme révolutionnaire un nouveau souffle pour des lendemains peut-être meilleurs alors que guette l’extrémisme ; celle d’une femme pour son époux, malgré ses humeurs, son infidélité ; celle d’une potentielle future Première dame qui sait les enjeux dont elle sera investie ; celle de valeurs humaines et humanistes parfois malmenées dans la grande arène du gouvernement et du cirque de la politique. Entre dévotion, dévouement, reniement et renoncement, la politique et la famille sont définitivement des affaires de foi.
« Le temps m’a aidée à fabriquer un univers dans lequel je clos ma pensée et je fige mon visage. A l’intérieur, bouillonnent mes rêves.(p.37)
On saura aussi reconnaître de façon implicite des épisodes réels de nos hommes politiques : la famille de Marie et de Paul est très « François Fillon » ; l’adultère de Paul découverte un matin alors qu’il revient de la boulangerie en scooter n’est pas sans rappeler un autre François ; le spectre de l’extrême droite incarné dans le roman par une femme a une couleur très marine… Bref, autant de clins d’œil qui épinglent surtout une sphère politique pas toujours reluisante.
« Nous nous reconnaissons, nous, acteurs des coulisses du feuilleton du pouvoir. Tous, un jour, premier rôle, espoir, doublure, figurant, vieille gloire. » (p.182)
Un bonheur de lecture, une nouvelle fois !
Première dame, Caroline LUNOIR, éditions ACTES SUD, 2019, 185 pages, 18€.
Ah oui, ce livre doit être intéressant. Et quelle position que celle de la femme du candidat, souvent éclaboussée par des révélations qui pourraient mettre à mal sa vie privée ! Combien se taisent et s’etouffent de ne pas crier leur colère à tout un pays… sincèrement, je n’aimerais pas être à leur place, une drôle de place ! J’avais évidemment pensé à ce couple avant que tu ne le précises dans ton analyse…
Bon dimanche de lecture (Ici, c’est la grisaille assurée pour la journée )🌞
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Merci beaucoup pour ce riche retour ! Le récit souligne bien le paradoxe de l’épouse : fidèle soutien et en même temps cette envie de fuite. Moi non plus je n’envie aucunement leur place… J’espère que ton dimanche aura été bon 🙂 A très vite !
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