
En tombant amoureuse d’Erwann, Louise sait qu’elle s’engage à accepter son passé, à savoir Irène, une sublime et sculpturale compagne qui l’a abandonné pour rêver d’autre chose avec un autre homme, et son présent, en la personne de Blanche, fruit commun de l’union de quelques années entre lui et son ex-amie.
Louise se sent prête à relever le défi, car pleine de bonne volonté pour s’assurer une certaine popularité auprès de la petite fille.
« J’aime l’idée que la place auprès de toi se mérite. Je pressens que ça ne va pas être facile. » (p.52)
Mais Blanche, incarnation vivante de la perfection physique d’un célèbre personnage de conte, se mure dans un mutisme dédaigneux à son égard. Pire, lorsqu’elle daigne accorder quelques mots à sa belle-mère, c’est pour mieux décocher de redoutables piques.
« il adore cette photo, parce que dessus, ça se voit, tu n’es pas du genre à te laisser amadouer. » (p.14)
Louise ne peut guère compter sur Erwann, père béat d’admiration une semaine sur deux devant la beauté de sa fille.
« Il n’y a pas de fierté. Il y a de la subjugation. » (p.92)
Le comportement odieux de sa fille ? Mais non, elle est comme cela Blanche. L’hypersexualisation de ses vêtements ? Mais non, c’est juste mignon. Aveuglé par cette enfant réduite à sa seule beauté – ce qui amène Louise à surnommer sa belle-fille de « Ma Belle » -, Erwann peine à répondre aux besoins de Louise. Cette dernière doit se contenter d’un compagnon à plein temps les semaines lors desquelles Blanche est avec sa mère : alors l’évidence, la complicité libérée des deux amoureux est éclatante.
« Toutes les belles-mères qui souffrent en sont là. Elles ne restent pas pour le trône ni la couronne. Elles restent pour ces moments-là, où l’amour revient. (p.136)
Mais lorsque l’enfant est là, Louise se tapit presque dans l’ombre, sa place n’étant à ses yeux pas vraiment légitime. Les manigances de Blanche pour la narguer de son amour teinté d’un large au-delà œdipien pour son père la rende folle, son amoureux se rangeant systématiquement du côté de sa fille.
« C’est à cause de ce pacte qu’on a conclu tous les deux sans se le dire. On n’a pas le choix, il faut que toi et moi, on s’aime. Il faut qu’entre toi et moi ça soit facile et évident, sinon mon histoire avec ton père s’arrêtera là. » (p.96-97)
Alors, chaque journée est une épreuve pour Louise : elle ne veut pas que sa nouvelle vie avec l’homme qu’elle aime soit une réécriture d’un conte de fée dans lequel elle aurait le mauvais rôle de marâtre. Les victoires, même minimes, remplissent son cœur de ravissement. Mais elles sont rares, et Blanche grandit, mystère insondable. Lutte de pouvoir tacite pour siéger dans le cœur d’Erwann entre une enfant et une jeune femme moderne, Ma Belle est le récit piquant, touchant, amusant du quotidien d’une trentenaire qui hérite sans l’avoir désiré du difficile rôle de belle-mère. Un rôle de composition entre petites victoires et grands moments de désarroi.
« Ce trio que je ne supporte plus, et combien il m’apparaît parfois comme un putaind e triangle amoureux. » (p.185)
Camille Anseaume, avec ce talent de conteuse qu’on lui connaît (et le fait de proposer la trame de Blanche-Neige pour son récit est un joli clin d’œil), dissèque le quotidien des familles recomposées et sonde avec pertinence les antagonismes jaloux. De plus, la réflexion est élargie par des considérations nécessaires sur la beauté des femmes, Blanche et Irène étant réduites à cela. Point de manichéisme pourtant, malgré les atermoiements de Louise sur ce qu’elle considère comme sa médiocrité physique. Non, le récit célèbre plutôt chaque personnage féminin dans sa complexité et son humanité, et de là naissent les pages – nombreuses – les plus touchantes.
« Jusqu’à ce que la beauté soudain m’apparaisse comme un danger, et que pour la première fois elle m’inspire de la tristesse. » (p.64)
« Plutôt que de brandir la beauté partout, je préférerais qu’on la considère comme ce qu’elle est. Une goutte d’eau dans un océan de potentialités, une simple loterie génétique. » (p.244)
Avec un texte écrit à la première personne s’adressant au « Tu » de Blanche – Ma Belle, le roman s’affranchit du cadre rigide et normatif du couple belle-mère / belle-fille pour esquisser une déclaration de tendresse…
Ma Belle, Camille ANSEAUME, éditions CALMANN-LEVY, 2022, 249 pages, 18.50€.