
Quand Florent et Nora se rencontrent, c’est l’amour fou, l’alchimie, la fulgurance. Une passion sans cesse renouvelée que le temps n’atteint (et n’éteint) pas. Autour d’eux, on s’étonne de s’aimer avec une telle fougue qui ne cesse jamais. La venue au monde de Tristane pourrait pondérer leurs ardeurs. Que nenni : la petite fille grandit dans l’ombre de ses parents, silencieuse, calme, observatrice. De ses parents, elle n’attend qu’un regard, un signe de leur intérêt, qui tarde à se manifester.
« Leur bonheur amoureux les empêchait de remarquer qu’ils délaissaient leur fille. Comment ce constat eût-il pu les effleurer ? » (p.48)
Alors, elle explore le monde seule et fait ses acquisitions non seulement de façon autonome mais aussi de manière remarquablement précoce. Pourtant, ce génie enfantin ne réjouit guère les parents, qui l’accusent de vouloir faire son intéressante. C’est auprès de sa tante Bobette, cas social assumé mais tatie merveilleusement aimante, que Tristane trouve un peu d’amour.
Alors, pour « contenter » Tristane, Florent et Nora lui « offrent » une petite sœur, Laetitia. Fulgurance de l’amour sororal : les deux petites filles se suffisent à elles-mêmes, et Tristane devient la petite mère de sa sœur, tandis que leurs parents mènent leur vie amoureuse avec une insouciance éhontée. Mais peu importe pour les enfants : tant que l’une est là pour l’autre, alors tout ira bien. La relation entre Tristane et Laetita est ô combien touchante, tant le dévouement de l’aînée pour sa cadette touche au sublime.
« Entre Tristane et Laetitia se produisit l’amour au sens absolu, l’amour hors catégorie, un phénomène d’autant plus puissant que non répertorié. A la f tout l’amour et toute la liberté, il échappait à l’altération des classifications. » (p.51)
Néanmoins, on regrettera dans ce nouveau roman d’Amélie Nothomb le nombre d’éléments improbables de son texte : une enfant de quatre ans qui change la couche de sa sœur et la nourrit ; une gamine capable de merveilles intellectuelles dès la psyché du nourrisson ; des parents odieux d’égoïsme ; une cousine capable de communiquer de l’au-delà avec Tristane… Tout cela nous amène à considérer le récit comme un conte : Le livre des sœurs est un conte avec des enfants mais pour des adultes, narré avec la géniale plume de conteuse d’Amélie Nothomb. On retrouve en particulier des éléments du Petit Poucet avec, par exemple, les parents odieux qui souhaitent se débarrasser de leur progéniture (ici, nous n’en sommes pas loin). Une réécriture moderne et féminine… voire féministe dans le dernier quart du livre, avec deux sœurs qui s’assument et revendiquent leurs choix de vie.
L’amour familial, l’amour parental et l’affection sororale sont au centre du récit. On dit que « plaie d’amour » n’est pas mortelle, mais le parcours de vie de Tristane en est le contre-exemple : aux carences affectives de sa prime enfance, que substituer ? L’amour de Laetitia peut-il suffire ? Dans une cellule familiale, quel amour nous construit ? En quoi les failles nous stigmatisent-elles à jamais ? Quand les parents manquent à leur devoir, quel rôle la fratrie joue-t-elle (n’osons pas imaginer le cas des enfants uniques…) ?
« Elle avait toujours été triste parce que ses parents n’avaient jamais cessé de faire bande à part. Rien, dans leur attitude, n’indiquait qu’ils aient besoin d’elle, qu’elle soit l’essentiel de leur vie. » (p.77)
Célébration de l’amour de deux sœurs, ce nouveau récit d’Amélie Nothomb nous invite à réfléchir à ces liens familiaux qui nous constituent et nous forgent par leur force affective.
Le livre des sœurs, Amélie NOTHOMB, éditions ALBIN MICHEL, 2022, 194 pages, 18.90€.
Je crois qu’Amélie Nothomb s’est inspirée de sa vie personnelle (et de ses parents) pour écrire ce conte pour adultes. Je l’avais vue à ce sujet à La Grande Librairie.
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J’aimerais bien le lire car j’aime la façon dont tu nous le présentes. Merci.
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