
M est une écrivaine qui a choisi une vie reculée dans les marais qui jouxtent l’océan. Auprès de Tony, son second mari, les jours s’égrènent pour elle dans la contemplation de la nature et l’indolence propre à ceux qui sont à l’abri du besoin. Parfois, elle convie des amis dans la dépendance de leur domaine, une masure remise au goût du jour et qui devient le temps d’un séjour la résidence d’artistes en tous genres.
« Dans une certaine mesure, j’avais besoin d’être en communication, même de façon limitée, avec des idées artistiques et avec des gens qui se conforment à ces idées. » (p.29)
Lorsque, de passage à Paris, M tombe nez à nez avec des œuvres de L, elle décide séance tenante de l’inviter dans son domaine. Le sieur se fait désirer et, une fois arrivé chez elle, adopte à son égard une attitude offensive : il se tient toujours éloigné d’elle, refuse de la prendre comme modèle, et ne lui adresse que rarement la parole. L’écrivaine pense tomber folle, elle qui ne peut s’empêcher de nourrir de troubles sentiments à l’égard de l’artiste de renom.
« Tout ce que je savais, c’est que L s’était éloigné, ne tenait même pas compte de moi, tandis qu’il exerçait son droit de vivre dans mes alentours tout en ignorant mon existence. » (p.192)
Le séjour devient supplice, d’autant plus que M voit autour d’elle des alliances se faire et se défaire : « l’amie » de L, Brett, s’acoquine avec Justine, la fille que M a eue en premières noces, tandis que Kurt, le petit copain de Justine, en vient à nourrir un culte à L. Dans ce ballet incessant mêlant attraction et répulsion, M n’est que spectatrice involontaire et se retrouve dépossédée de ce qui faisait, jusque-là, l’âme de sa vie, de son cercle intime et de son domaine.
La dépendance est ce lieu de résidence des artistes, temple de la création, mais aussi ce lien ténu qui ferre une personne à une autre : M est, victime consentante de l’idolâtrie, sous le joug de L. Peut-elle s’en défaire et rompre des liens toxiques ?
« Qu’avais-je donc perçu au juste qui m’incitât à le concevoir, quand en réalité je n’étais absolument pas en sécurité ? Quand en fait j’avais entrevu l’embryon d’une possibilité qui bientôt grandirait et se déchaînerait comme un cancer dans ma vie, en consumerait les années, en consumerait la substance ; quand, quelques heures plus tard, je me retrouverais face au diable en personne ? » (p.16)
A-t-elle fait venir en son royaume un ennemi en la personne de L ? Un tyran maléfique, ombrageux artiste aux tendances destructrices ? Les références au diable sont nombreuses dans le récit, et on perçoit la lutte de M avec elle-même, tiraillée entre ses désirs et la froide lucidité de la réalité.
« Mais j’avais déjà compris que telle serait la note dominante de mes rapports avec L : lui se dérobant à ma volonté et à ma vision des événements, lui m’arrachant ce qui était sous mon contrôle dans es transactions les plus intimes qui soient, non par sabotage délibéré mais en vertu du simple fait que lui-même ne pouvait être contrôlé. (p.65)
Le propos est sans doute passionnant, la plume de toute évidence magnifique, mais je n’ai pas réussi à adhérer à l’ambiance du récit de la brillante Rachel Cusk. Les considérations de la protagoniste – entre réflexion sur la réalité et l’abstraction des choses – m’ont parfois perdue, mais confirment l’âme d’essayiste de l’écrivaine anglaise. Un texte étrange, méphistophélique à bien des égards, mais qui ne fera hélas pas date dans ma bibliothèque personnelle.
La dépendance, Rachel CUSK, traduit de l’anglais par Blandine Langre, éditions GALLIMARD, 2022, 201 pages, 20€.
Effectivement… ça ne me tente pas ! Merci pour ton article.
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Je n’aime pas porter un avis négatif sur un roman mais vraiment le sens de celui-ci m’a échappé…
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Il ne fera pas plus date chez moi…
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