
Abigail a beaucoup de chance : après un passé amoureux en demi-teinte, elle a trouvé l’élu de son cœur en la personne de Bruce, un brillant informaticien qui, par le génie de son sens des affaires, a créé une florissante entreprise. Riche à millions, il n’a de cesse de gâter sa fiancée.
Pour Abigail, la rencontre de Bruce a été l’évidence. Certes, son porte-feuille est fourni, mais elle ne l’aime pas que pour cela. Bien consciente qu’elle sera toute sa vie à venir à l’abri du besoin et son poste au sein d’une maison d’édition un simple passe-temps, elle revendique la sincérité de son amour.
Pourtant, cela ne lui a pas suffi : lors de son enterrement de vie de jeune fille dans un vignoble de la côte californien, passablement éméchée, Abigail succombe aux avances d’un certain Scottie. Pétrie de remords après-coup, elle choisit de se taire et de ne rien révéler de cette incartade à son fiancé.
Mais, de retour à New-York, elle comprend que Scottie n’entend pas la laisser s’en tirer à si bon compte. Jusqu’au mariage, Abigail a peur : et si cet amant éconduit allait tout compromettre ?
Il en faut de peu, et la jeune épouse se croit en droit de souffler une fois à Heart Pond, petite île idyllique que Bruce a choisie pour leur lune de miel. Un choix évident pour lui puisqu’il en est le co-propriétaire. Néanmoins, rien d’exotique dans cette île, ancien camp révolu pour des adolescents le temps d’un été.
« Tout ça avait quelque chose de théâtral et alimentait une certitude grandissante : cette impression que tout ce qui se trouvait ici sur cette ile, chaque arbre et chaque personne n’étaient que les accessoires d’une pièce de théâtre à laquelle elle participait à son insu. » (p.241)
Si Abigail goûte à un luxe absolu, certains éléments la perturbent : pourquoi y a-t-il si peu de femmes en villégiature et quasi-exclusivement des hommes ? N’aperçoit-elle pas Scottie un soir près du grand pavillon ? Peu à peu, la jeune femme commence à désenchanter et à douter. Face à ses atermoiements, Bruce perd patience et révèle un visage inédit qui laisse Abigail interdite : s’agit-il bien de l’homme qu’elle a épousé ? Serait-il encore un inconnu ? N’aurait-elle pas cédé à une certaine précipitation de la passion… et commis une erreur magistrale ?
« Qui était vraiment ce millionnaire si attentionné ? Et qui était-elle vraiment ? […] Ce n’était pas seulement lui qui lui faisait l’effet d’un inconnu ; elle-même se percevait par moments comme une inconnue. Comme si tout se déroulait de manière automatique. […] Et rien ne lui semblait moins étrange. » (p.78)
Il me faut taire la suite, bien évidemment. Peter Swanson n’a pas son pareil pour créer un suspens haletant, réjouissant et en même temps glaçant. Si le contenu du récit est à bien des égards improbable (sans doute par choix affirmé d’un détournement ironique des codes de la romance), il met en évidence le pendant inverse du féminisme, à savoir le masculinisme. Dangereux, immoral et scandaleux : bienvenue au cœur de la vendetta masculine, vestige moderne de siècles de patriarcat. Peter Swanson part d’une relation amoureuse qui aurait tout de l’anecdote s’il n’en travestissait pas les arcanes habituelles. Futé, osé et rusé : le message est bel et bien passé.
« il restait une chance pour que tous les événements étranges qui s’étaient produits ces dernoers jours ne soient qu’une succession de coïncidences. » (p.211)
Chaque serment que tu brises, Peter SWANSON, traduit de l’américain par Christophe Cuq, éditions GALLMEISTER, 2022, 331 pages, 23.70€.