A dévorer !

« Un couple », Éliette Abécassis : chemin(s) de vie conjugale

Alice et Jules se sont rencontrés il y a soixante ans de cela, au cours d’un mariage. Une évidence. Et pourtant, Alice est partie sans que Jules ait connaissance ni de son prénom, ni de son adresse. Rien. Alors, il a écrit une lettre, somptueuse, d’une fulgurance absolue, à cette inconnue qui, il le savait déjà, ne le serait bientôt plus. Une lettre prémonitoire d’un riche avenir en commun.

« Comment avait-il osé ? Etait-ce la folie ? Etait-ce l’amour ? L’aurait-il écrite, aujourd’hui, cette lettre, s’il l’avait rencontrée dans les mêmes circonstances ? Et le courage, la volonté, la nécessité absolue de vivre sa vie avec elle auraient-ils été aussi forts ? » (p.90)

Et en effet, Jules a retrouvé Alice. Fiançailles, mariage, enfants. Au milieu de tout cela, les tracas : la guerre d’Algérie, l’ambition professionnelle, l’usure et l’ennui du mariage, l’envie de voir ailleurs, d’aimer et d’être aimé(e) autrement… Passion(s), tensions, rires, cris : un couple comme il en existe tant d’autres. Et, au milieu de cela, les petites mesquineries qui sont autant de rébellions d’un instant aux conséquences qui peuvent durer longtemps : c’est la joie éclatante de l’ascension d’un nouveau président nommé Mitterrand pour compenser le bonheur modéré du nouveau-né pas franchement désiré ; c’est le sacrifice d’une mère et d’une épouse pour son foyer et le reniement de ses propres désirs ; c’est encore le choix du père de nommer ses enfants en hommage à ses propres grands-parents plutôt que sa mère à elle, morte trop tôt… Doit-on légitimer ces manières de faire et de penser à la lumière de la France patriarcale des années 50-60 ? Sans doute… Les cautionner, pas forcément…

« Comment avons-nous fait ? pense-t-il. Avec nos cœurs solitaires, nos errances, nos atermoiements, nos élans et nos faiblesses. Comment avons-nous réussi à nous supporter dans les moments difficiles et à ne pas nous fuir au bout de tant et tant d’années ? Comment continuer avec l’âge qui vient ? Se donner l’un à l’autre, se plaire et se désirer, se trahir et le regretter, s’aimer et se haïr… » (p.51)

Éliette Abécassis fait le choix d’un récit d’amour à la chronologie inversée : Jules et Alice ont plus de quatre-vingt dix ans et se retrouvent sur un banc du jardin du Luxembourg. Élégants, comme ils l’ont toujours été. La mémoire en moins, mais cette lettre de jeunesse, gage d’un amour finalement pérenne, toujours en main. Et l’écrivaine de détricoter les mailles de plusieurs décennies d’une vie de couple qui ressemble sans doute à tant d’autres : des moments de bonheur et de joie partagée évidents, des crises existentielles lors desquelles l’adultère semble être cautionné, des points de rupture qui guettent, menaçants. Et pourtant, il demeure cette (illusoire ?) promesse que Jules fait toujours à Alice, celle de mourir d’amour pour elle si elle le quittait, de se jeter d’une fenêtre, de plonger dans la Seine, de traverser un océan pour conjurer sa peine à elle… Beau parleur et vaines paroles ? S’il convient de ne pas tirer un bilan manichéen de ce couple, on ne peut s’empêcher de blâmer l’égoïsme évident de Jules, sans doute tiraillé entre l’adoration absolue pour sa femme et l’assouvissement de ses propres choix de vie.

« ce qui est important, c’est ce qui est en train de se passer entre toi et moi, ici et maintenant, peu importe le reste, le passé, la guerre, les erreurs, les regrets, les attentes » (p.174)

Les histoires d’a… ne finissent pas forcément mal en général. Mais elles méritent de se battre pour qu’elles durent dans le temps et dépassent les épreuves de la vie. Se teinter d’autre chose et devenir peut-être des histoires d’amitié, d’ascèse, d’adultère, d’amertume, d’amoralité, d’acrimonie ou encore d’abnégation. Polyphonie et polymorphie de l’amour : avec Un couple, Éliette Abécassis cible avec justesse toute la complexité de ce sentiment à l’individuelle universalité.


Un couple, Éliette Abécassis, éditions GRASSET, 2023, 191 pages, 19€.

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