
La vie de cet immeuble du quartier de Brooklyn, à New York, est haute en couleurs ! Il faut dire que les occupants qui l’habitent proposent un mélange hétéroclite de mœurs et de caractères, et le terme « éclectisme » pourrait être inscrit en lettres d’or au-dessus du « stoop » de l’immeuble.
« Étrange immeuble, étranges gens. […] Ce n’était évidemment pas cet immeuble qui était étrange, bien que ce qu’il s’y passait fût original. C’était plutôt que l’illusion de la banalité se dissolvait dans le détail. Ici, l’effet grossissant de l’œil des voisins empêchait la norme de lisser en rond et cela arrangeait les uns et les autres car en plus de leur offrir de croustillants intermèdes, il leur donnait paradoxalement l’impression d’être comme tout le monde. » (p.72-73)
Ainsi, on fait la connaissance de Jolene, quinquagénaire en pleine ménopause qui trouve refuge dans l’alcool et l’herbe pour oublier la cohabitation difficile avec sa sœur et sa mère, en fin de vie. Sorte de concierge de l’immeuble, rien ne lui échappe : les sorties de route sentimentales de l’imprévisible Clara ; les fêtes et les frasques d’Ethan, mascotte à lui tout seul de l’immeuble ; les colocataires de tel ou tel étage qui cohabitent bien difficilement les uns avec les autres, ou encore la mise en place de l’amour libre par LE couple emblématique du lieu, à savoir Graham et Riley.
Tout ce petit monde se croise, comme autant de portes de l’immeuble qui s’ouvrent (sur des fêtes entre voisins, car tout est prétexte à célébrer la convivialité de rigueur entre eux) ou se ferment (sur une intimité douloureuse, celle de la confrontation avec soi-même, ses doutes, ses peurs…). Un aperçu plus ou moins développé de tranches de vies qui suggère néanmoins des dysfonctionnements personnels notoires. Ainsi, en guise d’exemple, l’expérimentation de pratiques amoureuses et sexuelles autres pour Graham et Riley met en danger l’équilibre revendiqué de leur couple. Eduardo, personnage secondaire du récit, tente de se réinventer une vie clean et besogneuse en ignorant les sirènes de la débauche…
Parfois, cette dynamique se fait dans un bruit violent de portes qui claquent : accords et désaccords créent une harmonie certaine pour un rythme de vie bien tempéré. Les drogues qui circulent allègrement dans l’immeuble n’apaisent pas forcément les non-dits et les tensions, mais disent cette volonté à revendiquer une liberté de vie assumée, affranchie du qu’en-dira-t-on malsain en général inhérente à toute vie en communauté.
« Dans cette cage d’escalier, la rumeur montait et descendait les marches à pas de loup, rasant les murs, passant d’étage en étage, d’oreille en oreille, n’épargnant personne, dans des petits bonds dont ses habitants ne pouvaient soupçonner l’agilité avant d’en avoir fait les frais » (p.25)
On savourera le style enlevé de l’écrivaine qui, de sa plume ô combien française et littéraire, rend magnifiquement compte de l’american way-of-life. Formulations heureuses, trouvailles délectables… la fluidité de l’écriture pondère le chaos qu’est la vie de nos habitants qui, le temps d’un récit, nous donnent à voir, à lire, le morcellement de convictions ou de sentiments. Le ballet de la vie, sa mélodie, malgré tout.
Sweet chaos, Meryem ALAOUI, éditions GALLIMARD, 2023, 297 pages, 21€.
Trop rigolo, ton analyse me donne vraiment envie de lire ce roman !
Cela me rappelle un roman du même genre qui se passait au Caire et dont j’ai oublié le titre et l’auteur… je rechercherai 😉
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