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« Histoire d’amour », Régis Jauffret : siège sentimental dérangeant

Professeur d’anglais dans un lycée parisien, le narrateur, âgé de trente-huit ans, rencontre de manière fortuite une jeune femme dans le métro. Immédiatement et irrésistiblement attiré par elle, il n’hésite pas une seconde et la suit jusque chez elle.

La résistance qu’elle lui oppose est fragile et, après quelques instants d’une cordialité étonnante de sa part à lui, il passe la nuit avec elle. Le lendemain les policiers l’arrêtent pour viol : sa victime a porté plainte et lui écope d’un petit séjour en prison.

Seulement, Sophie – c’est son nom -, il l’a dans la peau et il ne conçoit pas de ne plus la revoir.

« Je regrettais toute cette histoire qui avait failli briser net ma carrière et ma vie.Le jour de notre rencontre j’aurais mieux fait de rester debout au fond du wagon, le regard perdu dans un journal ou dans la contemplation du sol. » (p.47)

Alors, de façon incessante, il retourne la voir dans sa banlieue à elle. Quitte à attendre des heures, de jour comme de nuit. Il s’immisce, toujours, convaincu qu’à force de patience elle comprendra qu’il est fait pour lui. Sophie reste muette, subit les assauts de cet étrange prétendant, comme si elle savait que toutes ses tentatives pour lui échapper (en changeant ses horaires, son travail, son lieu d’habitation) étaient vouées à être vaines.

« Je lui ai pris la main, elle s’est laissé faire. Je l’ai embrassée sur la joue, elle n’a pas crié. J’aurais voulu qu’elle me dise quelque chose. Je ne comprenais rien à la situation dans laquelle je me trouvais, je ne savais pas si je devais rester là, obéir petit à petit à mon instinct » (p.13)

Et le lecteur de s’agacer : pourquoi une telle inertie alors qu’elle avait spontanément porté plainte lors de la première nuit ? Cette capitulation est incompréhensible et agaçante. D’histoire d’amour, il n’y a que la poursuite à sens unique du narrateur, qui mène un véritable siège pour faire sienne cette jeune femme. Alors que le harcèlement est honni de notre société contemporaine, pourquoi diable la jeune femme ne lutte-elle pas davantage ?

« Elle ne réussirait pas à me lasser, et je persisterais à rechercher sa présence, même si elle se montrait obstinément désagréable envers moi. […] Quoi qu’il arrive, elle ne pourrait pas faire autrement que me céder. » (p.58)

Un étrange récit dans lequel le malaise s’immisce à chaque page. Le principe de la répétition structure le texte entier, puisque nous lisons l’obsession d’un homme névrosé pour reproduire, inlassablement et sans atermoiement aucun, l’assaut d’une cible qui s’avère quelque peu fataliste. Une conception de l’amour inédite et dérangeante que l’écriture, froide, désincarnée, sublime pourtant…


Histoire d’amour, Régis JAUFFRET, éditions FOLIO GALLIMARD, 1998, 167 pages, 7.50€.

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6 réflexions au sujet de “« Histoire d’amour », Régis Jauffret : siège sentimental dérangeant”

    1. Bonne question, justement… Le consentement est clairement questionné à travers la passivité de la jeune femme, son opposition se traduisant par son mutisme et le silence de ses tentatives de fuite…

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