Taz et Marnie ont entamé deux grands chantiers : le premier, commencé de (trop) longue date, est celui de la rénovation titanesque de leur maison. Un gouffre financier, chronophage et énergivore. Le second, autrement plus inédit, est celui du bébé à naître dans quelques mois. Bien évidemment, rien n’est prêt pour l’arrivée du petit être, il s’agit de prioriser les besoins. Pour Marnie, seule compte la nursery, car d’ici peu c’est là qu’elle et Taz passeront une grande partie de leur vie.
« De fait, il était ravi. Il avait hâte de devenir un homme à bébé, hâte de s’isoler encore plus avec Marnie et cet être nouveau, leur enfant, leur univers. Monter le pont-levis. Remplir les douves. Lâcher les crocos. » (p.203)
Mais rien ne se passe comme prévu : Marnie meurt en couches. Taz, brutalement veuf, devient tout aussitôt le père d’une petite fille, Midge, qui ne connaîtra jamais sa maman. Entre le chagrin du deuil, insondable, et ce petit être qui doit survivre malgré tout et contre tout, Taz tâche de rester inébranlable : il continuera seul l’œuvre entamée avec sa bien-aimée Marnie. Il veillera, protégera Midge de tout. Il avancera bon gré mal gré les travaux dans la maison et devra sa battre pour maintenir à flots les comptes du foyer, dangereusement mis à mal depuis nombre de mois. Au prix de journées de travail interminables et de nuits sans sommeil. Le sacrifice de soi n’a pas de prix… et se révèle un exutoire (ou un expiatoire ?).
« A partir de maintenant, c’est toi et moi, bébé. » (p.42)
La relation entre le père et la fille devient très vite fusionnelle. S’y glissent, avec un naturel désarmant, l’ami de toujours, Rudy, prêt à tous les sacrifices pour Taz et Midge ; mais aussi Elmo, la baby-sitter dont s’entiche très vite le bébé et pilier en devenir de la famille, meurtrie. Et puis se glissent les moments de désespoir, de chagrin dont Taz étouffe les hurlements dans son oreiller : Marnie lui manque cruellement, et les encouragements qu’elle lui souffle à l’oreille sont si peu de choses face à la béance de l’absence.
« Il vous faut faire votre deuil, bien sûr... Dieu sait que nous ferons le deuil de Marnie toute notre vie, mais... [...] Pour elle. A partir de maintenant, tout est pour elle.« (p.69)
C’est ainsi avec une infinie délicatesse que Pete Fromm raconte le deuil d’un homme alors qu’une vie naît en ses bras. Comment trouver la force d’élever son enfant alors que la mort le prive de sa mère ? Comment « concilier » deux sentiments aussi diamétralement opposés que sont le bonheur et le chagrin ? Comment faire « vivre » Marnie auprès de Midge ? Comment gérer le deuil du parent disparu auprès d’un enfant orphelin ? Aucun pathos dans ce récit, sans qu’il y ait non plus de mise à distance des faits. Pete Fromm nous à lire le cheminement d’un homme que la vie malmène, du deuil de la séparation géographique avec des parents terriblement durs et indifférents à son égard au deuil du veuvage.
Taz se raccroche au pragmatisme du quotidien : jour après jour il construit ce que seront sa vie et celle de Midge. Un chantier infiniment long, qui requiert une patience et un courage inédits. Guère de projection : seul compte le moment présent, et c’est déjà bien assez.
Autour de lui, on lui accorde le temps et la solitude nécessaires pour se reconstruire. Et que peut Taz s’accorder à lui-même ? De vivre à nouveau pour lui ? De penser juste un peu à lui ? Lorsqu’un homme est littéralement démoli, c’est pierre à pierre qu’un nouveau cheminement peut se vivre…
« Tu as le droit d’être heureux. Pour le bien de Midge. » (p.224) « Il faut que tu choisisses une direction. […]. En avant. En arrière. […] Le passé ? Le présent ? Soyons fous : l’avenir ? » (p.256)
Belle et intense émotion de lectrice pour ce duo père-fille que la vie a injustement meurtri…
La vie en chantier, Pete FROMM, éditions GALLMEISTER, 2021, 329 pages, 10€.
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Je ne connais pas cet auteur, mais le sujet est intéressant.
Merci pour ton analyse 😉
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Un plaisir, comme toujours !
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