Steve et Gretchen, la trentaine triomphante, se sont aimés, ont eu deux enfants et chacun a mené un début de carrière flamboyant au prix d’efforts acharnés. Une réussite matérielle évidente.
Cependant, à force de préoccupations diverses et variées, le couple s’est éloigné et Steve a commis un faux pas irréparable : il a trompé Gretchen.
Or, plutôt que de foncer manu militari chez un avocat pour signer le divorce, le couple opte pour une thérapie conjugale auprès de Sandy : un signe évident d’une démarche salvatrice ?
« Bon sang, vous êtes séparés, vous êtes en train de décider de ce qu’il va advenir de la plus importante relation de votre existence, de vous demander si vous allez ou non reprendre la vie commune. Cela aura des conséquences sur la vie entière de vos enfants. Et vous ne parvenez pas à vous dire franchement ce qui se passe ? Vous ne pourrez jamais prendre de décisions avec la lucidité nécessaire si vous êtes incapables de vous parler. » (p.112-113)
« Tout ce que je peux faire, c’est leur apprendre à créer et à maintenir une relation qui ait un sens. » (p.213)
Dans un quasi huis-clos narratif, puisque tout se passe dans le cabinet de Sandy, Steve et Gretchen s’affrontent : la colère, les ressentiments et les reproches saturent l’espace. L’incompréhension (ou le refus de comprendre ?) affleure régulièrement. Mais, de chapitre en chapitre (de séance en séance), le couple se dévoile, se confie, avance de deux pas, recule d’un pas, fait fausse route, repart, aiguillé par les questions de Sandy.
« Steve s’investissait toujours et Gretchen conservait une option. Ils avaient tant à apprendre pour réussir à se parler d’amour, pensa Sandy. Mais au moins, ils essayaient. » (p.129)
« Elle voulait qu’il leur paraisse tout à fait normal, à tous les deux, d’aborder les sujets les plus intimes en sa présence, ici, dans cette pièce où elle devenait cette petite machine capable de traduire ce qu’ils disaient en ce qu’ils voulaient dire. » (p.163)
A ses côtés (peut-il en être autrement ?), le lecteur, témoin silencieux de ces joutes plus ou moins acerbes, doit s’efforcer d’être neutre, de ne pas prendre parti : difficile de ne pas juger et de ne pas pencher pour l’un ou pour l’autre !
Au fur et à mesure des séances, les personnages se livrent. Mais point de grand déballage éhonté ou impudique : la vérité se dévoile progressivement, de manière touchante et pondérée. John Jay Osborne crée une progression des plus réussies, sans tomber, à aucun moment, dans des clichés sirupeux sur la vie amoureuse.
Un mariage sur écoute est un livre fort que tout couple devrait lire, qu’il soit ou ait été en difficulté ou non. De fait, il questionne l’engagement et les failles inhérentes à tout parcours de couple : qui peut réellement se targuer d’une vie amoureuse sans échecs ? Pas Sandy la thérapeute dans tous les cas, si l’on en croit ses deux séparations. Sans jugement, sans parti-pris, le roman nous invite à croire en la possibilité d’un renouvellement amoureux.
« il lui fallait entretenir avec précaution la petite flamme d’espoir et même d’amour qui existait encore entre eux, pour être sûr que ces grandes bourrasques sombres ne l’éteignent pas ? » (p.71)
Tel un phénix, l’amour peut renaître de ses cendres. Livrant une analyse tout à la fois clinique et humaine, le texte célèbre les potentialités de l’amour, qu’elles soient heureuses ou malheureuses.
Un mariage sur écoute, John Jay OSBORN, traduit de l’anglais (États-Unis) par Marc Amfreville, éditions de l’Olivier, 2018, 222 pages, 20€.