Louise, une jeune provinciale américaine venue à New-York dans l’espoir de devenir écrivaine, peine à gagner sa vie. Excentrée, chaque jour relève du parcours du combattant pour rejoindre le cœur palpitant de la ville afin d’y donner des cours particuliers d’entrée à la fac ou pour assurer son service dans un bar lambda.
Un jour, par l’un de ces hasards qui renversent parfois le cours d’une existence, Louise rencontre Lavinia, riche héritière à la vie dorée, qui s’entiche aussi soudainement qu’inexplicablement de Louise. Très rapidement, Lavinia assure à Louise un nouveau train de vie, fait de fêtes décadentes où la moindre coupe de champagne est à 20 dollars. Mais bien évidemment Lavinia paye tout, offre le gîte à Louise dans son appartement cossu. Une prodigalité sans limite…
Louise, au début mal à l’aise dans ce nouveau monde dont elle n’a ni les us ni les coutumes, dépasse progressivement son inadéquation pour prendre peu à peu plaisir à cette vie où tout semble n’être que « luxe, calme et volupté » : elle fréquente des gens riches, bien placés, sur lesquels elle peut compter pour se frayer un chemin dans les milieux lettrés. Tous ses nouveaux amis semblent vouloir vivre plus vite, plus fort que le commun des mortels : une jouissance d’esthètes friqués.
« Louise sait qu’elle ne fournit pas sa part d’effort – ne pas s’appuyer comme une empotée contre un mur, ne pas bégayer devant des inconnus (elle pourrait dire quelque chose de brillant et spirituel à des inconnus, songe-t-elle, si Lavinia était à ses côtés), mais plus elle en est consciente plus sa gorge s’assèche, et plus il lui faut impressionner plus elle se sait insuffisante. » (p.56-57)
Seulement, Rex, le premier grand amour de Lavinia, n’est pas insensible à Louise. Succombera ? Résistera ? La rivalité entre les deux amis naît progressivement et Louise comprend rapidement que Lavinia peut, selon son bon vouloir, la répudier d’un claquement de doigt. Mais Louise a pris goût à cette vie de fastes et de paillettes, assumant une dépendance dont elle ne peut concevoir s’affranchir. Ferrée, elle va alors ramper devant Lavinia…
« Louise se débrouille tellement bien à être la meilleure amie de Lavinia. » (p.126)
« Elle est prête à faire n’importe quoi, à n’importe quel prix. Elle mentira au sujet du roman. Elle veillera tard, peu importe le nombre d’heures de boulot qu’elle rate. Elle arrêtera de retirer de l’argent. Elle ne reparlera plus jamais à Rex. Elle prendra des photos pour Lavinia, quel que soit le nombre de photos qu’exige Lavinia, de Lavinia belle, glamour, nymphique et ravageuse, tout ce dont Lavinia aura besoin. Du moment que Louise n’est pas comme les autres. Elle ne demandera même pas d’amour ; elle ne sait même pas si Lavinia est capable d’amour. Du moment que Lavinia a besoin d’elle. » (p.150)
La fête de trop peut-elle remettre en question cet équilibre finalement instable ? Jusqu’à quel point Louise peut-elle mentir sur ce qu’elle est vraiment et s’avérer une usurpatrice ?
« Louise a toujours raison.
Elle sait, depuis des années, qu’on peut duper certaines personnes tout le temps, et toutes les personnes un certain temps, mais qu’on ne peut pas duper tout le monde pour toujours, peu importe à quel point on est doué, peu importe à quel point on y travaille. » (p.169)
Social creature est un roman captivant, qui dépeint à merveille la jeunesse dorée de New York tel un épisode de la série « Gossip Girl« . Néanmoins, on est assez loin des psycho-drames pailletés : Tara Isabella Burton propose une vision trash et désenchantée de l’oisiveté de ces nantis américains, auxquels se confronte la modestie provinciale incarnée par le personnage de Louise.
A bien des égards, Social creature est un roman de mœurs doublé d’un roman social. Le récit confère même au thriller lorsque Louise gagne progressivement en immoralité : l’oie blanche est déniaisée, jusqu’à la limite fatale – retournement sanglant dans le roman – qui la révèle alors calculatrice et manipulatrice.
« C’est très simple, Louise le sait. Dans le monde, il existe deux sortes de gens : les gens qu’on arrive à duper pour qu’ils vous aiment, et ceux qui sont assez intelligents pour ne pas se laisser berner. » (p.79)
La narration est elle-même bien particulière, dans la mesure où le style est parfois oral dès lors que le narrateur s’adresse au lecteur et l’inclut dans ses commentaires, offrant une mise à distance critique des personnages. Une manière supplémentaire d’apprécier la double dichotomie mensonge / vérité et innocence / culpabilité qui structure le roman tout du long.
« Vous et moi, bien sûr, nous savons la vérité.
Nous savons comme il est facile de feindre. […]
Mais les filles comme Louise ne le savent pas. Pas encore.
Louise n’a jamais été aussi heureuse. » (p.28)
Social creature est un roman que l’on dévore.
Social creature, Tara Isabella BURTON, traduit de l’anglais (États-Unis) par Élodie Leplat, éditions du Seuil, 2019, 346 pages, 19.90€.