Kathryn / Kate Brooker avait, a priori, la vie dont toute femme pouvait rêver : un beau et brillant mari, Mark, proviseur d’un établissement scolaire de prestige ; deux enfants talentueux et populaires ; une demeure de caractère jouxtant l’école. Femme au foyer accomplie, Kathryn a toujours affiché le modèle de la parfaite ménagère à la jupe et au cardigan impeccables.
« Elle savait que, aux yeux du monde extérieur, elle était la fortunée Kathryn Brooker, qui menait une vie épanouissante et se préparait à un avenir radieux dans une jolie maison bicentenaire avec sa famille parfaite. Nombreux étaient ceux qui lui enviaient son existence, son prestige et son aisance matérielle. » (p.63)
Pourtant, Kate a violemment tué Mark. Poignardé, une nuit. Stupeur et consternation dans le petit monde policé de la bourgeoisie anglaise.
Pourquoi Kathryn a-t-elle commis l’irréparable alors tout semblait idyllique ?
« Le fait est que j’ai agi seule, en connaissance de cause et en mesurant les conséquences de mes actes. » (p.17)
Très rapidement, et vous l’aurez deviné seulement à partir du titre du roman, on comprend que le quotidien de Kathryn était bien plutôt un enfer, régi par Mark, époux diabolique et machiavélique sous l’apparence d’un homme charismatique et débonnaire : des journées dictées par un emploi du temps millimétré des corvées à effectuer, l’interdiction de lire, le bilan nocturne quotidien de tous les « manquements » de Kathryn avec à la clé, immanquablement, une punition sanglante à la lame de rasoir suivie d’un viol…
« Elle s’était trop souvent réveillée dans un océan de larmes, sans raison précise si ce n’est l’immense souffrance qu’était sa vie. Elle pleurait sur la nuit qu’elle venait de passer, sur la journée qui l’attendait, et pendant tout ce temps elle continuait d’arborer son sourire et sortait dans le jardin avec son panier à linge. » (p.349)
Le lecteur, horrifié, découvre, sous forme de flash-back, les supplices raffinés que son mari lui inflige. Bafouée, ignorée, sous-estimée par son mari et ses enfants, qui ne se rendent compte de rien, Kathryn est progressivement dépossédée de son identité de femme, de mère, d’épouse.
« Pendant vingt ans, j’ai eu trop peur pour prendre la parole, pour demander de l’aide ou raconter à quiconque ce que je vivais. Chaque pensée et action devait être contenue. Je me recroquevillais à l’intérieur de moi-même, et je savais qu’un jour je finirais par disparaître complètement. » (p.129)
Alors, lors de l’humiliation de trop, elle réagit.
Et pour le pire est le récit de ce parcours de martyr d’une femme comme on peut en côtoyer au quotidien mais qui, sous un sourire de façade, dissimule une incommensurable souffrance et une envie de hurler sa douleur. Passée maîtresse dans l’art du camouflage, Kate dupe tout son monde…
« C’était comme de jouer dans une pièce de théâtre : tant qu’elle était sur scène, beaucoup de choses palpitantes et merveilleuses lui arrivaient et lui apportaient de la joie ; mais elle ne pouvait rester éternellement sur scène et, dès qu’elle entrait en coulisses, paf ! des événements terribles lui tombaient dessus, et elle n’avait aucun espoir de les éviter, jamais. Tout ce qu’elle pouvait faire, jour après jour, c’était affronter le public et essayer de cacher son malheur, tout en espérant que quelqu’un parviendrait à voir derrière son sourire et lui viendrait en aide. » (p.109-110)
C’est aussi un roman avec un avant et un après, celui de la reconstruction (si cela reste possible), douloureuse et difficile : comment recréer un lien avec ses enfants qui ont découvert que leurs parents leur mentaient en leur donnant à voir une harmonie conjugale idyllique ? Comment retrouver un contact avec Dom et Lydia alors que ces derniers ne l’ont pour ainsi dire pas contactée en cinq années d’emprisonnement et refusent de la revoir une fois libérée ? Comment redéfinir son essence de femme et retrouver sa confiance en soi ? Comment assumer le regard d’une société dans laquelle on est à la fois victime et coupable ?
Et pour le pire est un magnifique et bouleversant portrait de femme, parfaitement en phase avec l’éclairage médiatique actuel – tellement nécessaire – sur les violences faites aux femmes.
Et pour le pire, Amanda PROWSE, traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Claire Allouch, éditions Stéphane Marsan, 2019, 356 pages, 20€.