A dévorer !

« Ce qui ne tue pas », Rachel Abbott : drame conjugal, drame familial, banalités de la vie fatales

Je ne sais pas si, comme moi, vous prêtez attention au titre original d’un roman, mais j’aime considérer le choix fait par le traducteur lors du passage au français : fidélité ou adaptation ? Or, pour ce cinquième roman de Rachel Abbott, intitulé And so it begins, je tique quelque peu quant au choix établi : on retrouve une citation banalisée (Ce qui ne tue pas rend plus fort) et bien trop populairement usitée. Un choix qui ne rend pas justice, selon moi, au contenu du roman car il est bel et bien question d’origine, de point de départ, avec son lot de conséquences – tragiques en l’occurrence.

Ce qui ne tue pas

Après une tactique aussi mystérieuse que stratégique pour se rapprocher de Mark – Marcus – North, un talentueux photographe de la côte anglaise néanmoins hanté par la mort accidentelle de sa première femme, l’excentrique et exigeante Américaine Mia, Evie a su se faire une place dans sa vie et devenir sa nouvelle compagne. Fruit de leur amour, la petite Lulu est née peu de temps après le début de leur relation.

Si Mark est un père dévoué et un mari attentionné, dont Evie est profondément amoureuse, il est également un homme complexe, bourré de manies et de rituels.

« J’étais encore assez jeune quand j’ai réalisé que j’avais besoin de suivre des règles, une routine. J’avais toujours eu l’impression que ma vie échappait à mon contrôle » (p.55)

« Faire les choses d’une certaine manière me donne un sentiment de sécurité. Tant que je, tant que nous respecterons certaines règles, tout ira bien.» (p.86)

Ainsi, l’un de ses rituels est « d’offrir » à sa femme, la veille de ses départs pour des missions photographiques, un « cadeau » tout personnel afin que celle-ci ne « l’oublie pas ». Une telle attention est touchante, n’est-ce pas ? Alors, pourquoi Evie semble-t-elle autant redouter chaque nouveau départ ?

Chose curieuse d’ailleurs : après chaque départ de Mark, Evie est victime de malheureux accidents. Tantôt un bras ébouillanté, tantôt une main écrasée sous un poids lors d’une séance de sport… Une maladresse fort douloureuse mais surtout très douteuse : sont-ce de simples incidents ? Evie voudrait-elle que l’on s’occupe d’elle, une fois livrée à elle-même ? Pourrait-elle répéter la même tragédie que Mia, décédée accidentellement ?

« Chaque fois qu’il devait partir – uniquement pour des raisons professionnelles -, il lui laissait un souvenir de lui afin qu’elle ne l’oublie pas. Un petit cadeau, j’imagine. Enfin, c’est ce qu’il me disait. Et pourtant, elle trouvait toujours des moyens de le culpabiliser de s’en aller, en provoquant des accidents qui n’auraient pas eu lieu s’il avait été là. » (p.137)

Ce n’est pas auprès de sa belle-sœur Cléo qu’Evie peut trouver une oreille attentive : la jeune femme, qui partage la galerie d’arts avec son frère, voue une inimitié presque viscérale pour Evie. Pour elle, c’est une opportuniste arriviste attirée par le succès de son frère, et elle ne vaut guère mieux que la première épouse.

« Cleo se tut. Elle avait longtemps hésité à confier ses doutes à son frère : Evie s’était mise en tête de le séduire dès leur première rencontre ; elle avait sans dte entendu parler de lui, de sa fortune et du drame de son premier mariage. Après tout, il était le candidat parfait aux yeux d’une jeune femme qui chercherait un bon parti pour s’élever socialement. » (p.65)

Possessive, aucune femme ne sera jamais assez bien pour Mark, qu’elle protège jalousement depuis l’enfance de toute insulte, de tout affront, de toute menace. Relation malsaine et étouffante qui peine à insuffler une dynamique positive au trio.

Un soir, veille de départ de Mark, le « rituel » traditionnel tourne au drame : la police, appelée sur les lieux, découvre deux corps ensanglantés. L’un des deux est mort, l’autre en état de choc. Dispute ? « Cadeau » qui a mal tourné ? Vengeance ?

« Je me rends compte à ce moment que cette situation n’a que trop duré. Il faut que ça s’arrête. Tout ça doit prendre fin, et vite. » (p.100)

Un procès a lieu et la vie intime du couple est donnée en pâture à tout le pays : les révélations sordides, présentes et passées, émergent…

« Je garderai la tête baissée durant cette parade. Après tout, aucune victime n’aime révéler au monde ce qu’elle n’a pas su empêcher. » (p.229)

Alors, quel est le point de départ qui a conduit à ce drame conjugal ? Comment tout a-t-il commencé ?


Difficile de proposer une rapide analyse du roman sans dévoiler les thèmes clés du roman. Espérons alors que même énoncés, ils donneront encore davantage envie au lecteur de lire ce roman, page-turner en diable !

De fait, Ce qui ne tue pas est un récit qui joue avec nos nerfs : d’une part, par le récit terrible et horrifiant du quotidien d’une femme battue (et voilà, c’est dit) ; d’autre part, par le retournement de situation plus que jamais inattendu (p.341) où l’on découvre que l’on a été royalement dupé ! L’effet est magistral.

Une bonne partie du roman est progressivement accordée à l’enfance : les blessures du passé déterminent-elles notre comportement présent ? Une enfance malheureuse peut-elle tout de même donner accès à une vie adulte heureuse ? Doit-on chercher à se venger des blessures de l’enfance ?

« Mon âme est peuplée de monstres qui luttent pour s’évader et tout détruire, balayant les obstacles comme la mer efface l’empreinte de nos pas sur le sable. » (p.342)

Ce qui ne tue pas est un triptyque : être une femme / être une mère / être une sœur. Une identité triple avec ses failles et ses atouts que l’auteur interroge à travers les personnages emblématiques d’Evie et de Cléo en mettant en évidence l’excès, qu’il soit d’amour ou de vengeance.

Le fond comme la forme de ce roman sont concluants. On referme le livre quelque peu glacé. Alors on peut confirmer que c’est un récit réussi !


Ce qui ne tue pas, Rachel ABBOTT, traduit de l’anglais par Laurine Chaplain, éditions Belfond, collection Noir, 2019, 376 pages, 19.90€.

 

 

 

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