Léa Debarry est une artiste peintre de renom. Elle s’apprête à exposer à New-York dans le cadre d’une rétrospective de son œuvre. Tout est quasi fin prêt, grâce aux bons soins du père de son fils Paul, l’américain Joshua, et grâce à son agent et amant de longue date, le galeriste réputé Louis-Armand Chalandrais.
Afin de se ressourcer avant l’aventure américaine qui l’attend, Léa a décidé de s’octroyer quelques jours de repos dans la maison de famille qui fait face à la mer, à Armanville. Là-bas, aux Saules, elle espère jouir de la quiétude de la solitude.
Seulement, rien de tout cela ne va se passer. Ou disons que les choses vont se passer autrement. Sans que rien ne soit prémédité, Léa va ainsi faire la connaissance, dans le train qui l’amène de Paris à Granville, du jeune Grégoire. A seulement dix-neuf ans, le brillant étudiant en khâgne capte immédiatement l’attention de Léa. Un intérêt tout artistique d’abord, puisqu’elle ne peut s’empêcher de faire de lui quelques croquis à la dérobée, captivée par la beauté de ce modèle inespéré et inspirant.
« Mais elle eut envie de lui, un homme jeune, plus jeune que tous les autres, pour la première fois de sa vie, sans explications que la courbe d’un poignet qui scandait l’air, y traçait d’étranges lignes sans aucun sens. […] Elle en était sûre à présent. Elle pourrait le contempler nu, posé sur un lit, un canapé, debout, en train de boire, de rire, de parler, de manger, sans le peindre, pour elle, se rassasier de sa peau nue, de sa peau incroyablement ferme, belle. » (p.32)
Mais Grégoire ne s’annonce pas seulement comme un objet d’étude. Au bout de quelques heures seulement, il embrasse le plus naturellement du monde l’artiste. Un coup de cœur évident qui va les conduire tout droit à la liaison, tout à la fois charnelle et intellectuelle. De fait, Léa fait absolument fi de l’âge, tant Grégoire impressionne par sa maturité.
Elle va même plus loin : elle décide de repenser l’affiche de son exposition new-yorkaise. Peu importe qu’elle « destitue » son fils Paul pour ce faire : elle consacrera Grégoire sous les traits du « Grand Narcisse ».
« Elle pensa qu’elle pourrait avec lui recomposer la toile, la refaire éternellement jusqu’à la fin de leurs jours » (p.290)
La liaison entre les deux amants ne dure pas seulement quelques jours : elle s’impose comme une nécessité, une fois de retour à Paris. Mais ériger cette nouvelle muse et ce nouvel amour n’est pas gagné pour Léa…
« Ne pas perdre la face et son sourire à venir allait ressembler à la première des morsures. » (p.192)
Les Amours illicites convainc en premier lieu par l’élégance des personnages – une artiste accomplie et des agents internationaux de renom, tandis que Grégoire vise Normale Sup’ – et de la plume de Philippe Séguy. Il est ainsi désarmant de lire les échanges d’un charme presque suranné (ou du moins bien loin du pragmatisme romantique actuel) entre Léa et Grégoire, ce dernier tenant par exemple à vouvoyer sa maîtresse.
Le silence a aussi une grande part dans ce roman, pour mieux laisser place à l’observation : la mer à Armanville, Grégoire dans le train ou Grégoire dans l’atelier parisien. N’oublions pas que ce roman prend appui sur l’art, la création et que tout début d’œuvre passe par une observation minutieuse : peut-être y a-t-il là une jolie mise en abyme du processus de création propre à tout art, tant pictural que littéraire.
Philippe Séguy propose, dans ce roman, un portrait de femme mûre qui assume la liberté d’aimer. Les doutes n’ont que peu de place dans le récit, dans la mesure où le personnage de Léa semble accepter avec une heureuse fatalité ce coup de cœur / foudre artistique, intellectuel et amoureux avec le jeune et beau Grégoire. Tout comme s’il était question d’un déterminisme amoureux…
« Léa regarda Grégoire, la lenteur de ses mouvements, sa manière de s’installer, de prendre sa place dans le fauteuil, de devenir si rapidement indispensable à sa vie, sans qu’elle y puisse grand-chose, comme une fatalité agréable qui la rendrait heureuse. » (p.65)
Les Amours illicites est, à mon sens, un plaidoyer en faveur de la légitimité à accepter d’aimer autrement, à un moment donné de sa vie, sans que cela doive forcément tourner au drame du cas de conscience.
« Louis ne l’aimait plus, par jalousie morbide, lassitude mise à convaincre, il ne le lui avait pas dit, c’était pire. Elle n’était pas sûre de ne pas lui conserver encore l’habitude de l’amour, le soin mis à être tendre avec lui. Louis. Grégoire la ramenait à ces années-là, sa jeunesse. » (p.215)
« Elle dit dans le désordre les mots qu’il ne fallait peut-être pas dire, qu’elle ne pouvait pas quitter Grégoire, qu’elle l’aimait suffisamment pour le prétendre et le répéter à qui serait face à elle, sans menace, sans colère. Cela durerait ou pas, elle l’ignorait, elle ne savait pas combien de jours elle aurait avec lui et elle s’en moquait bien. » (p.278)
Un récit beau et fort que je vous souhaite vivement de découvrir.
Les Amours illicites, Philippe SEGUY, éditions Pygmalion, 2019, 303 pages, 18.90€.
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