Roy et Celestial sont mariés depuis un an et demi. Tous deux promis à une belle carrière – lui en tant qu’avocat, elle comme créatrice de poupées – c’est un très beau couple en devenir, en passe de gagner le combat de longue haleine que leurs aïeux noirs ont mené pendant des décennies de dur labeur.
« Nous étions officiellement mariés depuis un an et demi, et nous étions heureux. En tout cas, je l’étais. Ce n’est peut-être pas la définition du bonheur pour tout le monde, mais nous étions un couple typique de la bourgeoisie noire d’Atlanta […]. J’étais jeune, ambitieux et bien parti pour réussir. Celestial était une artiste, intense et ravissante. » (p.16)
Un weekend, alors que le couple est invité chez Big Roy et Olive, les parents de Roy, il décline l’invitation à rester dormir chez eux, préférant l’intimité d’une chambre d’hôtel. Mais, contre toute attente, le couple se dispute violemment.
« notre mariage me paraissait une belle tapisserie. Régulièrement, nous la déchirions puis la raccommodions, toujours au fil de soie, ravissante mais assurée de céder de nouveau. » (p.53)
Roy s’éclipse le temps de prendre de l’air et de se calmer. L’occasion pour lui, alors, d’aider une femme de l’âge de sa mère à regagner sa chambre alors qu’elle a les mains pleines.
En pleine nuit, alors que Roy et Celestial se sont réconciliés, la police surgit dans leur chambre pour arrêter Roy : la vieille dame a été agressée pendant la nuit et elle accuse Roy.
Malgré une défense en béton assurée par l’avocat ami de la riche famille de Celestial, Roy est condamné à douze ans de prison pour un crime qu’il n’a pas commis.
Si, au début de la peine de son mari, Celestial est très présente et que le couple s’échange de nombreuses lettres, les relations se distendent peu à peu. Leur mariage peut-il résister à l’épreuve du temps et de la distance ? Car, même si elle lui assure son soutien le plus entier, Celestial se retire progressivement et tombe, le plus consciemment du monde, dans les bras de son ami de toujours et de tous les instants, Andre.
« Que pouvais-je faire d’autre ? Je connais Celestial Davenport depuis toujours et je l’aime depuis au moins autant de temps. […] Je ne me cherche pas d’excuses. Je suis conscient qu’il y a des hommes meilleurs que moi, qui auraient abattu l’arbre des sentiments et brûlé la souche le jour où Roy a été enfermé, d’autant plus qu’il était victime d’une erreur judiciaire. Aucun de nous n’en doutait. » (p.125-126)
Mais, lorsque Roy sort de prison, ignorant que son ami et sa femme sont ensemble, il compte bien récupérer Celestial, car à aucun moment le divorce n’a été prononcé. Leur mariage a-t-il encore un avenir ?
« Je devais m’organiser pour aller à Atlanta, pour parler à Celestial face à face, peau à peau, et lui demander si nous étions toujours mariés. Une part de moi pensait que, si je devais poser la question, c’était que la réponse était non. Peut-être que je me faisais du mal pour rien. Deux ans sans visite, c’était un message ; pourquoi avais-je besoin de l’entendre de sa bouche ? Quoi qu’elle ait à me dire pour se justifier, il y aurait du sang, et ce ne serait pas une coupure nette. La vérité allait me déchiqueter comme une morsure de chien. » (p.241-242)
Ce très beau roman, mêlant les trois voix des protagonistes, est un récit intense : à peine ouvrons-nous le lire que l’on retient notre souffle pour ne le reprendre que lors du dénouement, lorsque Roy a retrouvé Celestial. Une tension constante que l’on retrouve à travers les thèmes clés du texte :
- le racisme : Roy est immédiatement accusé parce qu’il est Noir ; Andre doit se justifier parce que, Noir, il a les moyens de s’offrir une très belle voiture sans pour autant faire partie d’un gang ou d’être associé à une quelconque malhonnêteté.
- la paternité et la filiation : Un mariage américain questionne le rôle du père et ses substituts. Pudiquement, il envisage le père qui n’en est pas un et préfère abandonner femme et enfants pour partir ailleurs, mais évoque aussi le père qui n’a rien de biologique et pourtant assume le rôle de modèle pour l’enfant qui vient à lui. Somptueux.
- la fidélité : enjeu essentiel du roman et pilier fondateur du mariage, la fidélité est évoquée à travers le mariage de Roy et de Celestial mais aussi à travers les contre-points parentaux. La fidélité est aussi celle à ses idéaux et à ses principes : qui continue à faire allégeance à Roy une fois celui-ci en prison ? Qui lui reste fidèle parce que c’est, justement, un devoir ?
« Et maintenant que mon mari condamné pour un crime qu’il n’avait pas commis était libre, j’allais devoir lui annoncer que je m’apprêtais à en épouser un autre. La situation était tout ce qu’on voulait – tragique,absurde, improbable, voire immorale -, mais certainement pas commode. » (p.283)
Un mariage américain est l’un des romans que l’on retrouve en tête de gondole dans les librairies, et à juste titre. Délicat et fort, ce récit est la radiographie d’un couple qui cristallise enjeux moraux et combats éthiques.
« Tout autour de Roy, il y avait les éclats d’une vie brisée, et pas uniquement d’un cœur brisé. En même temps n’étais-je pas la seule qui pouvait le réparer, si une telle chose était possible ? Le travail des femmes n’est jamais simple, jamais propre. » (p.387)
Un mariage américain, Tayari JONES, roman traduit de l’anglais (États-Unis) par Karine Lalechère, éditions PLON, 2019, 415 pages, 21€.
Déjà passionnant dans tes commentaires ! C’est bien ce genre de roman que j’apprécie, qui nous permet de comprendre la vie des autres, dans d’autres pays… A ajouter dans ma PAL 😉
J’aimeAimé par 1 personne
Un pur régal ! Beaucoup de pudeur aussi. Magnifique. Je te souhaite de le lire très vite ! 🤩🤗😊
J’aimeAimé par 1 personne