A goûter

« Un truc de fou », Hank Green : rencontre du 3ème type ?

April May est une jeune graphiste de 23 ans qui tente de percer à New-York après avoir vécu une enfance et une adolescence tranquilles et confortables dans la province américaine. Libre et libérée, refusant les étiquettes, April prône un mode de vie détaché des conventions sociales.

Un truc de fou

Une nuit, tandis qu’April sort très tard du travail pour boucler à l’arrache un gros dossier, elle tombe nez-à-nez, dans la rue, avec une immense sculpture représentant une entité inconnue. Performance artistique ? Canular politique ? Street art gigantesque ? Telles sont les premières hypothèses d’April qui flaire, du même coup, la bonne breaking news qui pourrait lui assurer une popularité immédiate sur les réseaux sociaux. Alors, avec l’aide de son ami Andy, April filme une petite vidéo rendant compte de sa découverte.

Le buzz est immédiat : New York Carl, ainsi prénommé par April, devient viral sur les réseaux. Mieux encore : il apparaît que 63 autres gigantesques sculptures sont disséminées un peu partout dans le monde ! Ayant été la première à révéler sa découverte, April est invitée sur tous les plateaux de télévision pour partager l’expérience vécue. La jeune femme comprend que, dans ce soudain tourbillon, elle est devenue « influente ».

« Le fait d’être au centre de l’attention, le manque de sommeil, l’excitation de faire une nouvelle vidéo me faisaient littéralement tourner la tête. J’avais enfin compris l’amplitude de la vague, et je m’efforçais de surfer dessus. Sans vraiment comprendre qu’elle était en réalité encore plus grosse. » (p.82)

L’histoire aurait pu s’arrêter là mais les choses se complexifient lorsque April découvre que, dans son sommeil, elle peut faire un Rêve dans lequel elle retrouve Carl et que ce dernier propose de nombreuses énigmes à résoudre. Or, étrange circonstance encore, le Rêve est partagé par des milliers de personnes.

« Personne ne sait comment le Rêve s’est propagé, mais il commence de la même façon pour tout le monde. » (p.202)

Deux camps se dressent alors : d’un côté, ceux qui plaident pour une synergie des compétences de chacun afin de résoudre les différentes énigmes et œuvrer ensemble à la solution du mystère ; de l’autre, les Défenseurs, individualistes acharnés pour s’emparer du secret.

« Je m’étais incrustée dans cette histoire sans véritable légitimité. Je m’étais fait porte-parole d’une idéologie bien précise qui convenait à certaines personnes, et pas tout à d’autres. Il était plus que naturel que des gens moins ouverts à l’altérité se retrouvent plus dans son discours à lui. Il était logique qu’un avis radicalement opposé au mien se fasse entendre, seulement à l’époque, je ne le comprenais pas. » (p.223)

April ne vit alors plus que pour les réseaux et la gloire lui monte passablement à la tête. L’illustre et modeste inconnue est même contactée en personne par la Présidente qui pressent en elle une Élue. Il faut aussi dire que Carl devient une affaire d’État : l’une de ses mains se dérobe mystérieusement à Hollywood, des attentats se multiplient autour des différents Carl…

Quelle sera la limite de la déconnexion ? De quel message les Carl sont-ils porteurs ?


Un truc de fou est un roman intéressant qui questionne avant tout la virtualité omniprésente dans notre quotidien et l’hyper-connexion de chaque individu. Or, que se passe-t-il quand on devient le propre sujet-objet de cette virtualité en réseau ? Comment résister aux sirènes de la popularité et à l’éventuel mirage aux alouettes ?

« On riait de l’absurdité de ce qui nous arrivait, de cette nuit, de ces dernières semaines, du fait qu’on était au centre de toute cette histoire. Rien ne nous désignait pour ce rôle, et pourtant c’était bien celui qu’on était en train de jouer. » (p.150-151)

Les Carl sont un prétexte, plutôt original, pour dénoncer d’une part la frénésie médiatique qui s’empare de la population dès qu’un événement se produit : tout doit être partagé, commenté, analysé. La toile est un vaste forum, une immense jungle dans laquelle il est facile de se faire tailler en pièce : unions, divisions… Qui règne vraiment dans cet empire virtuel ? Jusqu’à quand ? Pour combien de temps ? Est-on encore soi-même lorsque l’on est devenu une figure médiatique des réseaux ?

« Et si l’intention des Carl est de nous mettre à l’épreuve, alors ce dernier test est le plus difficile. Quand on y réfléchit bien, la seule façon sensée d’analyser l’histoire récente de l’humanité, c’est d’y voir une collaboration croissante entre ceux qui la composent, depuis qu’on s’est rendus maîtres de cette planète. » (p.449)

Le thème du roman est indéniablement intéressant, astucieux et ingénieux mais je l’ai parfois trouvé long. Le détachement verbal d’April m’a parfois agacée, je ne vous le cache pas. Néanmoins, Un truc de fou reste un moment de lecture sympathique.


Un truc de fou, Hank GREEN, traduit de l’anglais (États-Unis) par Diniz Galhos, éditions Denoël, 2019, 475 pages, 19.90€.

Un grand merci aux éditions Denoël pour l’envoi gracieux de ce roman !

 

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