Bobbi et Frances se connaissent depuis le lycée. Amies, amantes, puis de nouveau amies, le fusion de leur duo et l’affection qu’elles se portent mutuellement n’est plus à prouver, faisant largement fi de leur différence de classe sociale. Et ce ne sont pas leurs études à l’université qui vont les séparer…
Par contre, le risque peut venir de leurs nouvelles amitiés. En effet, lors d’une performance poétique, au cours de laquelle les deux jeunes femmes déclament les vers savamment composés par Frances, elles retiennent l’attention d’une photographe en vue, Melissa. Cette dernière s’entiche rapidement du binôme, et en particulier de Bobbi.
« Je savais que Melissa appréciait plus Bobbi que moi, et j’ignorais comment m’agréger à leur amitié nouvelle sans avoir l’air de quémander leur attention. » (p.33)
Melissa leur ouvre les portes de son univers, un milieu bourgeois bohème qui, s’il sied à la perfection à Bobbi, décontenance quelque peu Frances.
Le trio féminin devient quatuor lorsque Frances et Bobbi font la connaissance de Nick, l’époux de Melissa. Très vite, le manque de communication entre le couple devient flagrant aux yeux des deux amies… Très vite, l’attirance de Frances pour Nick devient évidente aux yeux de ce dernier et… réciproque ? Je laisse le mystère entier…
« Le fait que je me sente amoureuse de Nick, pas simplement entichée de lui, mais profondément attachée d’une façon qui pouvait avoir des conséquences durables sur mon bonheur, me faisait éprouver une nouvelle forme de jalousie envers Melissa. » (p.251)
Se met alors en place un étrange ballet à quatre, à l’équilibre instable et tangent, dans lequel les frontières entre amour et amitié se révèlent floues et redéfinissables à l’infini ou presque…
« Je vivais une deuxième phase de mon éducation : j’étais consciente de plein de choses, je faisais mine d’avoir un niveau de compréhension plus important qu’en réalité. Dans cette logique, Nick et Melissa étaient comme des parents qui me guidaient dans le monde, qui m’aimaient et me détestaient encore probablement plus que mes vrais parents. Cela signifiait aussi que j’étais la jumelle maléfique de Bobbi, une métaphore qui me paraissait plutôt appropriée. » (p.294-295)
Vous l’aurez compris, « Conversations entre amis » est un roman résolument moderne, dans la mesure où il questionne à la perfection la monogamie, la fidélité, le polyamour, la possibilité d’aimer différemment, d’aimer plusieurs personnes, qu’importe leur sexe. A aucun moment le propos ne se fait sulfureux : Sally Rooney envisage les potentialités des combinaisons entre adultes consentants.
« Pour moi, le temps que je passais à penser à Bobbi ne concernait en rien Nick, en revanche, le temps qu’il passait à penser à Melissa, je le prenais comme un affront. » (p.341)
J’ai aimé le style de l’écrivaine : tous les dialogues sont directement imbriqués dans la narration, sans aucun indice de ponctuation (guillemets, tirets). Elle nous fait grâce du verbe « dire », mais point de sa répétition, outrancière. Comme si ce n’était pas la manière de dire qui comptait, mais ce qui est dit. Malgré cette difficulté apparente, la lecture du récit a été extrêmement fluide pour moi.
Je vous recommande chaleureusement ce brillant roman !
Conversations entre amis, Sally ROONEY, traduit de l’anglais (Irlande) par Laetitia Devaux, Éditions de l’Olivier, 2019 pour l’édition française, 393 pages, 23€.
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