J’adore les éditions Sonatine, vous le savez. Aussi, lorsque j’ai pris dans ma très longue pile de livres à lire ce roman, le premier de Jane Robins, j’étais plutôt enthousiaste. Las… le plaisir n’a pas duré au-delà des cent cinquante premières pages.
Callie et Tilda sont jumelles mais radicalement différentes, tant physiquement que moralement. La première est une plantureuse brune, discrète, sans éclat particulier, qui travaille dans une petite librairie de quartier et vit dans un modeste appartement. La seconde, blonde, diaphane, fine et sublime, jouit d’une certaine popularité acquise par un rôle dans un film. Il faut dire que depuis leur plus tendre enfance, Tilda tente de briller, qu’importe les moyens, tandis que Callie ne vit que dans son ombre, recluse au rang de faire-valoir, pourtant prête à tout pour protéger sa sœur. Au final, dès le départ, un rapport inégal dans ce couple sororal.
« Là, je recherche l’invisibilité, à l’inverse de Tilda, qui se fait un devoir d’être remarquée. » (p.49)
L’inégalité se creuse lorsque Tilda rencontre Felix, un brillant financier. Cependant, à chaque fois que Callie le rencontre, elle est dérangée par sa maniaquerie, sa brusquerie lorsqu’il est contrarié. Simple psycho-rigidité ? Pas sûr, lorsqu’elle voit des bleus sur les bras de sa sœur ou la peur dans son regard.
Ce qui était doute devient certitude : Felix est dangereux et il maltraite Tilda ! Callie trouve confirmation en fréquentant assidument un site internet sur les tyrans domestiques, se faisant au passage de nouvelles « amies ».
« Je suis désormais convaincue que Felix fait du mal à Tilda, physiquement et mentalement, et en allant au travail, j’imagine des façons de la soustraire à son emprise » (p.55)
Jusque là, chers lecteurs, j’étais ferrée : ce roman s’annonçait comme une nouvelle réflexion littéraire sur les violences faites aux femmes. Mieux encore : Felix est retrouvé mort peu après le mariage ! Voilà qui était prometteur !
« Il fallait que je lutte contre l’état d’esprit éternellement soupçonneux qui était le mien depuis si longtemps, peut-être parce que j’étais si souvent toute seule, et que la solitude engendre la paranoïa. » (p.254)
Pourtant, c’est le mélo qui l’emporte à peu près à partir de la deuxième moitié du livre. Jugez : Callie sort avec un client de la librairie et entame une relation amoureuse torride très rapidement, ayant envie de lui confier ses soupçons sur Felix dès le premier rendez-vous ; elle a le temps de se brouiller avec lui pour des malentendus ; sa patronne lui accorde de nombreux temps de pause, ferme la librairie pour que Callie se console à un moment donné, et va jusqu’à lui offrir des vêtements pour un relooking express ; la même patronne trouve le bonheur amoureux en trois jours… Bref, des platitudes qui vont crescendo, des répétitions qui appauvrissent l’intrigue (et un chocolat chaud pour Callie ! et un cidre Strongbow pour Callie ! et un sandwich fromage Marmite pour Callie !). Un manque de crédibilité et de vraisemblance fâcheux.
« Comme cela arrivait si souvent, mes pensées se sont tournées vers Wilf : j’aurais aimé pouvoir tout lui raconter sur Belle, Scarlet, tyransdomestiques.com et la mort de Felix. J’ai imaginé, aussi, l’avoir dans mon lit pour pouvoir me perdre complètement en lui, oublier ce que ça faisait d’être moi, oublier les horreurs dans ma vie. J’ai pensé à lui avec tendresse et regret en finissant mon poulet, puis en mangeant une banane » (p.250)
Alors, lorsque la quatrième de couverture annonce une « étonnante acuité psychologique » de l’auteur, je m’insurge : ce récit a une base très prometteuse mais pèche cruellement par manque de réalisme et par excès de zèle à vouloir développer et mêler plusieurs fils conducteurs. Dommage…
Illusion d’un plaisir de lecture qui m’a boudée, je vous laisse vous en faire votre propre idée.
« Les Illusions », Jane ROBINS, traduit de l’anglais par Caroline Nicolas, éditions Sonatine, 2018, 356 pages, 21€.