Paul et Ema sont à la fois collègues et amants. Chacun a une vie de famille établie et les deux vivent à peu de distance l’un de l’autre. Régulièrement, ils se retrouvent au conseil des prud’hommes où ils officient en tant que conseillers tant auprès des employés que des employeurs.
Le maître-mot de leur relation extraconjugale : la discrétion. Paul et Ema sans cesse s’effleurent, la sensualité affleure mais chacune de leurs rencontres laisse en suspens un désir grandissant tacite à la satisfaction béante.
Si Paul semble se satisfaire de cette relation en pointillé, Ema peine à s’en contenter. A plusieurs reprises, elle tente davantage. Mais, insaisissable, Paul se soustrait, se faufile et laisse à chaque fois peu de prise.
« Ema fait mine de comprendre, tout en espérant faire évoluer Paul sur ses positions. Elle s’imaginait pouvoir le rencontrer loin de chez eux et de leur quotidien, mais toute échappée étant pour l’instant irréalisable, elle s’accommodait des moments passés avec lui dans des espaces contraints, comme l’habitacle de sa voiture. » (p.10)
Rapport amoureux inégal, besoins hétérogènes, ce court premier roman d’Agnès Riva suggère à la perfection l’explosion amoureuse sans cesse retenue dans un carcan de pseudo-bienveillance, et qui s’étiole faute de pouvoir être vécue pleinement.
« Au fur et à mesure que croissent ses sentiments, augmente chez Ema le besoin de former avec Paul un couple dont les autres seraient témoins. Elle aimerait être enveloppée en permanence par sa présence. Son amant ne lui semble pas éprouver le même désir. La révoltante distance dont il fait preuve avec elle ce jour-là la fait se sentir incomprise et rejetée. » (p.49)
Cette relation mesurée – et c’est là toute l’originalité du roman – se fait dans différents lieux du quotidien avec un seul point commun : le prosaïsme. Ainsi, Paul et Ema se retrouvent tantôt dans l’habitacle de la voiture de Paul, tantôt dans l’encoignure de la porte d’entrée d’Ema… Chaque lieu est l’occasion d’une intéressante description factuelle. Tout cela crée un décalage fortuit où la fulgurance du désir est tempérée par des lieux qui semblent empêcher le désir d’advenir. En d’autres termes, chaque lieu en commun, marqué par l’identité de l’un de deux amants, est un rappel d’illégitimité de la relation. Et lorsque enfin le couple se retrouve dans un lieu neutre, débarrassé de toute contingence personnelle, peut-il espérer donner pleinement vie à son désir ?
« Elle finit par se convaincre que la seule manière de faire évoluer sa relation avec son amant est de le contraindre à sortir de sa zone de confort, quitte à transgresser les espaces qu’ils s’étaient donnés comme interdits. » (p.55-56)
Chronique d’un amour illicite, Géographie d’un adultère est un beau récit, élégant, tout en retenue et en suggestion, qui donne à l’adultère, dans son traitement littéraire, une noblesse inédite et inattendue.
« cette révélation lui enseigne quelque chose de nouveau à propos des limites qu’elle aussi doit se fixer dans cette histoire. » (p.70)
Géographie d’un adultère, Agnès RIVA, éditions Gallimard, collection L’Arbalète, 2018, 126 pages, 13.50€.