Joséphine s’étiole dans son quotidien de professeur de philosophie dans un lycée de Drancy. Élèves chahuteurs et désintéressés mettent à mal sa bonne volonté de leur inculquer l’art de penser. La sonnerie du vendredi soir et la trêve des vacances sont vécues comme des moments salvateurs et pallient la nausée récurrente qui chaque lundi matin freine son arrivée au lycée.
« Je me faufile vers la sortie, un mouchoir pressé sur la bouche. Des haut-le-cœur me soulèvent l’estomac. Direction les toilettes. Vomir, chier, lire Apollinaire : tout plutôt qu’écouter le discours en langue de bois de l’Éducation nationale. » (p.13)

Néanmoins, Joséphine trouve un exutoire inattendu dans la danse et en particulier dans l’art de l’effeuillage. Si ses débuts sont timides, dans la mesure où il s’agit de dompter l’image d’un corps jusque-là méprisé, la jeune femme prend peu à peu goût aux strip-teases du Dreams, établissement parisien d’un certain chic. Là-bas, les hommes ont seulement le droit de regarder, jamais de toucher.
Très vite, Joséphine, devenue Rose Lee sur scène, ne peut se passer de ses nuits à danser où elle dompte le désir des hommes selon son bon vouloir. Enfin, elle a un certain contrôle sur les individus. Ajoutons le confort matériel que les danses demandées par les clients lui offrent en quelques nuits, là où il aurait fallu deux ou trois mois de paye de professeur pour obtenir la même somme.
« La nuit, c’est mon jour le plus puissant, un présent perpétuel fait d’intensité et de bien-être. La vie sans les courses, les rendez-vous et les soucis cassent les élans, où les êtres et le monde ont une présence incomparable. » (p.95)
Joséphine se retrouve progressivement confrontée à la dualité de ses rôles : professeur de philosophie en plein spleen le jour et danseuse sexy épanouie la nuit. Difficile de concilier les deux, d’assumer cette double identité entre l’officiel sacrificiel et l’officieux délicieux. Plus difficile encore lorsque les deux mondes de Joséphine / Rose Lee se rencontrent et la mettent en danger, quitte à la dégriser.
Le monde de la nuit est évoqué de façon fascinante, loin d’une vulgarité trash qui aurait été possible. La lascivité est plutôt de mise, et elle poétise sensualité et désir concupiscent. A l’inverse, Ketty Rouf ne témoigne d’aucune complaisance envers le monde de l’éducation : professeurs désabusés, payés une misère, ne pensant qu’aux vacances… On frôle le cliché, car il reste, heureusement, des professeurs en France motivés et heureux d’aller enseigner ! Donc gare à la généralité. Certes, l’état de grâce est offert à Joséphine grâce à un élève qu’elle « sauve ». Était-il nécessaire de faire un portrait aussi noir de l’enseignement pour sublimer le « sauvetage » ?
« Il ne faut pas s’arrêter de semer et d’espérer la moisson. C’est la raison même du métier. » (p.71)
Un certain manichéisme, donc, un rien fâcheux. Il convient de le dépasser pour cerner l’enjeu essentiel de ce premier roman : une apologie certaine du choix d’être soi-même, de concilier et d’assumer les différentes facettes de ce que l’on est.
« M’a-t-il donc fallu une trentaine d’années pour naître ? […] Il paraît qu’il n’est jamais trop tard pour se mettre à nu. » (p.49)
On ne touche pas, Ketty ROUF, éditions Albin Michel, 2020, 238 pages, 18.90€.
Intéressante réflexion concernant l’épanouissement… peut-on vivre de sa passion pour la philo et la transmission à des étudiants désintéressés ou mener une vie nocturne plaisante et qui rapporte plus ? Ou réussir à combiner les deux, sans jamais les faire se rencontrer…? Je l’ajoute à ma PAL 😉 merci !
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Excellente synthèse !!! :))) Un très bon moment de lecture ! Belle rentrée à toi 🙂
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