
Paul est un homme que dame Nature a malmené : doté d’un physique particulièrement ingrat (le cheveu rare, maigre comme un clou, le visage disgracieux à l’exception d’un regard bleu magnétique), il peine à trouver à l’amour.
« C’est injuste et douloureux, chaque jour, chaque heure, cette laideur portée en fardeau, la peau, une silhouette, des pieds à la figure, incongrue, elle pique et modèle l’humeur et les certitudes. » (p.14)
Paul est aussi un homme que la vie a malmené : un père alcoolique et violent qui, dans l’enfance miséreuse de ses rejetons, n’a pas hésité à les frapper, encore et encore, Paul prenant le maximum de coups pour éviter que ses sœurs n’en prennent, elles.
« Il en a pris, des torgnoles, Paul. » (p.58)
Alors, à présent, il traîne ce corps qu’il honnit entre son appartement, meublé avec soin et élégance, et son travail au bureau de poste de sa ville. Un quotidien morose, ponctuellement trompé par la rencontre d’une femme qu’il courtise, avec plus ou (surtout) moins de succès.
Ainsi, lorsque la belle Mylène emménage en face de son appartement, Paul en vient à faire une fixation sur elle : il guette tous ses faits et gestes, espérant tout saisir d’elle, et espérant aussi qu’elle le remarque. Une frénésie monomaniaque inquiétante et névrosée, on le devine. Il parvient à ses fins, en devenant d’abord son ami, puis en la faisant succomber pour une seule nuit dans son lit. Le réveil est brutal : Mylène ne veut plus entendre parler de lui, l’ignore, s’empresse de refaire sa vie et d’oublier ce moment d’égarement fâcheux et pathétique.
Paul est une âme en peine : il était dingue de Mylène ! Qui pourra lui succéder ? C’est impossible !
« Il inspire encore pour reprendre le contrôle ; elle ne sera jamais Mylène, il doit l’accepter mais s’épuise, vaincu par le doute d’un bonheur qui s’échappe. » (p.103-104)
Pourtant, c’est la gironde et douce Angélique, mère célibataire et femme courage, collègue de Paul, qui va bravement tenter de la remplacer. Car Paul ne peut s’empêcher de les comparer, ne trouvant en Angélique qu’un vague substitut. Néanmoins, contre toute attente, il va réellement s’enticher d’elle et laisser voir son vrai visage : il a le contrôle d’Angélique, il le fera savoir. Une gifle, des coups, le lendemain « réparés » par un cadeau, une déclaration… Angélique subit sans broncher : elle le sait qu’elle a un grand cœur, et que les âmes en peine, elle les attire. Mais peut-être pourra-t-elle le sauver ? Si seulement Paul lui confessait ses démons du passé…
« Elle escamote ses plaies, en oublie la raison, pour avancer, parce qu’elle veut croire à ce nouveau départ, une chance, une vie de femme ordinaire à laquelle elle aspire. […] Un bonheur simple. » (p.119)
Ce dernier peine à réaliser qu’il reproduit à l’identique ou presque ce que son père faisait : noyer sa colère et son désarroi dans l’alcool, frapper d’un revers de main la compagne indocile. Peut-il se défaire de ce carcan qui l’a traumatisé ? Une thérapie peut-elle endiguer le flot de violence qu’il a en lui ?
« C’était son père. Pas lui. Pas lui. Pas lui. Pas lui. » (p.54)
Bénédicte Soymier questionne, dans un roman passionnant, la possibilité d’échapper au déterminisme familial (dans la mesure où tous les personnages « trainent » des casseroles traumatisantes de l’enfance ou de l’adolescence). Y a-t-il une solution contre la violence conjugale ? Peut-on pardonner ? Peut-on aimer à nouveau, laisser une deuxième chance ? Quels facteurs seraient « excusables », si une excuse est seulement envisageable ?
« Lui dire son chagrin et la honte qu’il reçoit en miroir, son passé à l’épaule. Est-ce qu’on traîne ses gènes malgré tout ? » (p.130)
Un récit coup de poing (sans mauvais jeu de mots, pardonnez-moi), dévoré en quelques heures, remarquablement bien écrit : une nouvelle œuvre qui ne peut que compter dans le combat quotidien contre les violences faites aux femmes. Vital.
Le Mal-épris, Bénédicte SOYMIER, éditions CALMANN-LEVY, 2021, 245 pages, 18.50€.