Mettre fin au célibat : nombre de trentenaires en rêvent. Quitte à faire des concessions, bien souvent. Pari risqué ?

Lorsque Louise, cadre issue de la bourgeoisie catholique de province, pénètre dans le fief politique du Parti centraliste, c’est pour deux raisons : d’une part, c’est pour trouver un écho concret à ses aspirations politiques ; d’autre part, disons-le franchement, elle espère trouver dans le vivier politique un bon parti.
« C’est ainsi que Louise s’était dit qu’elle accroîtrait à la fois son capital citoyen et son panel de possibles bons partis » (p.22)
Ce dernier apparaît en la personne de Karim, parisien brillant né de parents issus de l’immigration. Mais c’est au prix de ses efforts à lui qu’il a pu entrer dans la sphère politique pour être avec les gens qui comptent. Convaincu de ses engagements, il milite et se bat pour faire valoir ses idéaux et son parcours, méritant.
Si la rencontre entre Louise et Karim n’a rien d’une évidence, les deux jeunes gens tombent néanmoins amoureux.
« Ils se sont donc embarqués avec joie, mais dans l’obscurité la plus totale […] ils s’aiment et donc n’osent pas se dire les choses essentielles. » (p.59)
Après, pas évident de concilier des habitudes de vie radicalement différentes, des univers familiaux aux antipodes les uns des autres, voire carrément hostiles les uns aux autres. Et l’auteur de croquer de délicieux passages de confrontation entre l’élu(e) et la belle-famille, jusqu’au mariage lui-même.
« toute cette affaire de cérémonie de mariage n’est, théoriquement, que le DÉBUT. Le début, non pas de l’amour, car Karim et Louise s’aiment. Le début des infinis défis de la vie à deux » (p.186)
Mais, tout du long, on perçoit que l’alchimie entre Louise et Karim n’est pas de mise. Oui, ils s’aiment. Sans doute. Pourtant, le mariage n’a rien d’une évidence, et trop souvent les clivages (sociaux, culturels…) refont surface.
Tout entier mû par ses aspirations politiques, Karim en vient à délaisser sa jeune épouse pour se mettre tout entier au service du candidat que personne n’avait vu venir, mais en qui lui a cru. Ainsi, Sauveur Génial (oui, oui, vous ne rêvez pas) incarne le renouveau politique qui peut faire décoller les ambitions de Karim et le consoler de ses espoirs déçus du passé. Sauf que, malgré un dévouement sans bornes, Karim ne sera que secrétaire d’État, et pas ministre, ce qu’il n’avouera jamais ouvertement. A côté de lui, femme de l’ombre, Louise s’étiole, car Karim ne satisfait pas ses propres ambitions personnelles.
« Voilà, se dit Louise, je suis victime de ma sensiblerie, je n’ai pas su remonter en selle quand il était temps, je n’ai pas appris à me caparaçonner, maintenant je suis complètement seule et perdue. Karim est là où nous le voulions tous les deux ; mais je ne nous retrouve plus, je ne comprends plus le sens que nous avions construit. Je ne sais pas qui je suis là-dedans. » (p.229)
Au final, Marie-Fleur Albecker donne à lire la construction boiteuse d’un couple et son histoire, qui jamais ne trouvera l’équilibre parfait, parce que tiraillée par des exigences extérieures qui font partie intégrante de l’un ou de l’autre.
L’enjeu politique est de taille, et il occupe une grande partie du roman (peut-être trop grande d’ailleurs, car à certains moments grande fut mon envie de décrocher). Après, relevons la qualité descriptive du parcours politique de Karim et la volonté de l’auteur de montrer que la stigmatisation, trop souvent affaire nationale, ne doit pas être la valeur première que chacun a trop tendance à ériger, consciemment ou non. On notera le parallèle étroit entre le personnage de Sauveur Génial et notre actuel président (« toute ressemblance… » : on ne nous la fait pas à nous, non non !).
Ni seuls ni ensemble pourrait être rebaptisé « le roman des ambitions », sous-tendant la problématique de la réussite, de la déception mais aussi de l’échec, qu’ils soient professionnels ou personnels. Et, au final, la mixité n’est qu’un point d’ancrage, pas si majeur que cela, pour expliquer les divergences grandissantes du couple.
Ce petit récit vaut le détour, notamment pour l’originalité et l’intelligence de la plume, mais il s’adresse à de bons lecteurs qui percevront les enjeux riches et complexes du texte.
Ni seuls, ni ensemble, Marie-Fleur ALBECKER, éditions AUX FORGES DE VULCAIN, 2021, 243 pages, 18€.