Retraité sexagénaire tranquille, veuf et sans enfants, Jean-Pierre Fabre voit son quotidien basculer… enfin, comprend que son quotidien a basculé le jour où il se réveille à l’hôpital, très sérieusement amoché après une chute dans la Seine qui aurait pu être dramatique.

Heureusement, Camille, un jeune étudiant qui tapinait dans le coin, a pu le sauver. Comment en est-il arrivé là ? Tentative de suicide ? Accident ? Ça, c’est à Maxime, le policier, de le découvrir. Car tout ce beau monde se succède dans la chambre de Jean-Pierre (hélas, sans jamais fermer la porte, au grand dam de notre convalescent), sans que ce dernier n’ait convié aucun de ces visiteurs : son frère, sa belle-sœur, l’ado boulotte qui squatte sa chambre pour mieux prendre son ordinateur et checker son Facebook, et bien sûr la valse des infirmières et des différents médecins qui ont dû intervenir sur le corps en charpie de Jean-Pierre.
« L’orthopédiste s’occupe de la charpente ; le neurologue, de l’électricité. Mon urologue est dans l’écoulement des eaux. Ne pas parler plomberie avec son carreleur, c’est le début de la sagesse. » (p.207)
Un rythme effréné d’entrées et de sorties digne d’un vaudeville de théâtre.
« J’en ai fait des rencontres, ici ! […] Un vrai poème à la Prévert. » (p.220)
Et c’est bien là la saveur de ce roman aux petits chapitres rondement menés : le rythme est enlevé et le pathos, pourtant présent à bien des reprises lorsque Jean-Pierre replonge dans les méandres de sa généalogie ou de sa vie conjugale, mis à distance par des saillies absolument drolatiques.
« Moi, j’ai des souvenirs. A mon âge, c’est plus sûr que d’avoir des ambitions. » (p.37)
Nous, lecteurs, sommes les visiteurs permanents, pendant plus de deux cents pages, d’un homme bourru, un rien misanthrope, mais qui se révèle paradoxalement hautement attachant par une humanité que l’on devine progressivement.
« Si j’avais su, je me serais peut-être évité deux ou trois traquenards, et il y a certains mots que je n’aurais pas dits. D’autres que j’aurais pensé à dire plus souvent. J’aurais peut-être aimé mieux, je me serais moins énervé pour ce qui n’en valait pas la peine et j’aurais davantage apprécié le menu mais, dans l’ensemble, maintenant que j’en suis au dessert – peut-être même au café, qui sait ? – je me dis que « si j’avais su », j’aurais vécu la même vie. » (p.168-169)
Une petite pépite récréative réjouissante !
Bon rétablissement, Marie-Sabine ROGER, collection BABEL / éditions ACTES SUD, publié en 2012 par les éditions du ROUERGUE, 222 pages, 7.80€.