A croquer

« Jour bleu », Aurélia Ringard : élégant quadrille de rencontres

La narratrice, Chloé, a rendez-vous dans une gare pour y retrouver l’homme qu’elle a rencontré trois mois auparavant au cours du vernissage de photographies organisé en son honneur. Cette rencontre a scellé un coup de foudre, tout en évidence et en retenue. Avant de se quitter parce que lui partait pour plusieurs mois en reportage photo, il lui a demandé de le retrouver sur le quai de la gare. Promesse et espoir d’un couple balbutiant mais sans doute promis à un avenir à deux éclatant.

« L’heure de ton arrivée approche. J’ai peur pour de vrai, je ne vais pas te mentir. Ça cogne de partout dans mon corps, mais il est temps de lever le voile et de savoir si cette aventure est réelle, si cette histoire – notre histoire – existe. […] J’ai pensé : il n’y a rien de plus urgent que d’aller vers toi, d’aller vers plus loin. Le reste du monde m’est devenu illisible. » (p.14-15)

Le récit est celui de l’attente de Chloé : plus de trois heures avant l’arrivée en gare du train, elle est là, assise au « Train bleu », à attendre patiemment. Une attente loin d’être ennuyeuse, puisque c’est là l’occasion pour elle de se livrer à ce qu’elle aime tant : contempler la faune environnante, si hétéroclite dans ses visages et ses histoires à peine entrevues et dévoilées, écrire quelques notes dans son précieux carnet, laisser ses pensées dériver vers des souvenirs de vie, faits de l’enfance et de son cheminement.

« Tout est là et rien ne s’arrête jamais. […] Chacun porte en soi des dizaines d’histoires à raconter. En imaginant les destinées, elle a l’impression d’influer sur le cours de leur existence. L’acte de témoigner ne lui semble jamais vain. » (p.48)

Curieusement, les chapitres alternent entre la voix de Chloé, assumant la narration, et une troisième personne, anonyme, mettant à distance le récit de la narratrice. Pourquoi cette alternance ? Peut-être correspond-elle à un dédoublement entre une femme spectatrice / observatrice et une voix agissante ? Peut-être, simple hypothèse…

« On ne guérit pas d’être soi, et la nécessité fait loi. J’essaie de mettre de l’ordre dans l’histoire, mais j’ai la mémoire en vrille, il me manque des photos de famille. Je ne sais pas comment structurer le temps, ni comment le définir. Si je devais en faire un livre, on dirait que je suis une narratrice chaotique. Je recompose, ni plus, ni moins, je tente de décrypter les événements et les choses. Au bout du compte, j’interprète, j’imagine. C’est peut-être imaginairement que l’on aime. Des parents, une vie, une gare. Un homme. On aime l’image que l’on s’en fait. » (p.163)

Dans tous les cas, on ne saurait que louer la qualité d’écriture d’Aurélia Ringard pour ce premier roman : une rare élégance, des descriptions où chaque mot sonne juste, des envolées énumératives superbes et signifiantes… Il est remarquable de noter que cette prose parvient à poétiser à merveille cette attente dans une gare, topos somme toute si banal et pragmatique. Et c’est cela la virtuosité de l’art, quel qu’il soit : métamorphoser le quotidien en une fugue (vers le passé, l’imaginaire, vers soi, l’autre, les autres…). Bravo pour ce coup de maître littéraire !

« Je me demande si, par la convocation dans ce lieu, c’est mon avenir que je suis venue chercher ou mon passé que je suis en train de retrouver. » (p.74)

« Je me demande si je ne suis pas en train de rêver, un long rêve qui ressemblerait à la vie et auquel j’accorderais trop d’importance. Je n’ai jamais voyagé aussi loin dans le passé, dans l’amour, dans l’imagination. Où est l’écueil ? » (p.95)


Jour bleu, Aurélia RINGARD, édition Frison Roche Belles-Lettres, 2021, 191 pages.

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