A croquer

« Parasites », Ben H. Winters : (dé)possession(s)

Susan aimerait déménager et trouver un appartement plus grand. Elle parvient à convaincre son mari Alex de céder pour une location dont la propriétaire, Andrea Scharfstein, une vieille veuve adorable, ne tarit pas d’éloges. Et cela s’avère une évidence : l’appartement, au loyer raisonnable, est bien placé dans ce quartier de Brooklyn Heights, spacieux, et Susan pourra même disposer d’une « pièce bonus » pour se remettre à la peinture, elle qui a plaqué son métier de juriste pour mieux s’occuper de leur petite Emma, trois ans et demi. L’affaire est rondement menée et en moins d’un mois Susan, Alex et Emma posent leurs valises dans leur nouvel appartement.

« Je n’arrive pas à croire qu’on habite dans un duplex, dit-il en décrivant un grand demi-cercle avec le bras, à la manière d’un empereur romain. Bien joué, Sue ! » (p.35)

Le regard idyllique de la petite famille est au début à peine terni par quelques dysfonctionnements qu’elle n’avait pas remarqués : une prise défectueuse, une latte qui se détache… Pourtant, au-delà de cela, Susan commence à compiler certains éléments dérangeants : Louis, le vieil homme à tout faire d’Andrea, lui révèle que le mari de cette dernière s’est suicidé au sous-sol et que rien n’a été nettoyé ; un étrange « ping » résonne ponctuellement dans le tuyau d’aération ; la pièce bonus, où Susan installe son chevalet et ses tubes, dégage une odeur pestilentielle, et elle y retrouve le cliché, coincé dans l’interstice de la fenêtre, du jeune couple de locataires précédent. Et surtout, il y a cette toute petite tache ensanglantée un matin sur l’oreiller de Susan, et ces piqûres qui commencent à la démanger : y aurait-il des punaises de lit disséminées dans l’appartement ?

« La tache était encore là. Peut-être un peu moins foncée qu’à l’origine, mais qui la défiait par sa simple présence. Des punaises de lit. Il lui vint soudain l’idée absurde qu’en prononçant à voix haute ces mots qu’elle-même s’était efforcée de ne pas dire, Alex avait attiré le fléau chez eux. » (p.90)

Ce doute ancré en elle, Susan peine à convaincre Alex : lui ne voit rien. De même pour Andrea, qui indique n’avoir jamais eu vent de ces nuisibles chez elle. Pourtant, la jeune femme les voit, ces parasites, elle les sent, mais semble n’être que la seule. Serait-elle folle ? Une spécialiste, appelée pour faire un état des lieux, ne détecte aucune punaise. Mais pourquoi le tableau que Susan a peint un soir de frénésie artistique se pigmente-il jour après jour de points dans la pièce bonus, tel un spectre de Dorian Gray ? Y aurait-il une malédiction dans cet appartement à laquelle Susan uniquement serait sensible ? Quel(s) mystère(s) cache le lieu ? Les « démons » sont-ils extérieurs, tapis dans l’ombre, ou en elle ?

« Les cauchemars, les piqûres, l’œuf sur la brosse à dents qui avait disparu avant qu’elle ait pu l’attraper et le montrer à Alex… Elle avait l’impression que les punaises se moquaient d’elle, qu’elles la torturaient, comme si elles avaient décidé qu’elle, et elle seule, devait être punie. » (p.170)

Plaisant récit « domestique » dans lequel se glissent la peur et le suspens, Parasites nous confronte au fléau d’insectes nuisibles, qui ici prennent peu à peu possession de la raison de l’héroïne. Au-delà de ce fâcheux désagrément qui a pendant plusieurs années mis à mal nombre de lieux de vie de citadins, l’auteur propose un fil narratif tissé sur l’histoire de la maison et de ses habitants : redoutable en diable !

« Car ces punaises de lit étaient beaucoup plus que des punaises de lit. Elles n’avaient aucune intention de s’en aller, et Susan ne pouvait pas leur échapper. » (p.205)

« Les punaises n’en avaient qu’après Susan. Son corps et son âme. » (p.217)

Un agréable moment de lecture, d’une facilité d’approche idéale pour cet été.


Parasites, Ben H. WINTERS, traduit de l’anglais (États-Unis) par Pierre Szczeciner, éditions SONATINE, 2021, 263 pages, 20€.

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