
Justine, seize ans, dispose cet été-là de trois longs mois de vacances. Ce sera sans doute l’unique fois de sa vie d’ailleurs. Ça pourrait très bien tomber car il fait très chaud à Cressac, petit village de Charente dans lequel la mère de Justine, une documentaliste, a choisi de vivre, loin de son ex-mari, à Tours.
Mais cet été-là ne s’annonce pas comme les autres : Océane, une camarade de classe de Justine et habitante de Cressac, a disparu le dernier jour du lycée. Fugue ? Enlèvement ? Doit-on imaginer le pire ? Des battues sont organisées, les médias en font leurs choux gras, mais sans succès. La mère de Justine lui interdit de se promener seule dans le village et la campagne.
Alors c’est l’ennui, absolu, soporifique, qui envahit le quotidien estival de Justine. Aucune promesse en vue…
Elle pourrait compter sur sa meilleure amie, Mathilde, mais celle-ci lui préfère la compagnie de son petit-ami, majeur. Elle pourrait compter sur les retrouvailles avec son ex-premier amour, mais les embrouilles du passé ont raison d’un quelconque élan de sa part. Sa mère ne la lâche pas, son père ne fait aucun effort pour passer du temps de qualité avec elle. Bref, un fiasco général annoncé…
Pourtant, dans cette morosité solitaire et solaire, Justine va se retrouver sollicitée dans le cadre de l’enquête autour de la disparition d’Océane, une absence omniprésente et pesante pour chacun, même si elle-même n’était pas proche d’elle. De même, elle va se lier d’amitié avec Anne-Sophie, la meilleure amie d’Océane. Les relations se font et se défont, tragiquement ou naturellement, dès le mois de juillet…
« Est-ce que chaque chose a une raison de se produire et de ne pas se produire ? » (p.29)
Et surtout, c’est auprès de Thierry Vedel, le jardinier de sa mère, que Justine découvre la puissance de l’attirance physique. Une fulgurance, qui lui fait imaginer une vie ailleurs, une vie autrement, dès ses dix-huit ans. Car après tout, il lui rend ses regards, il l’écoute, il semble la comprendre, ne refuse pas sa main… Une sensualité naissante la bouleverse tout entière et elle ne vit alors que pour sa prochaine rencontre avec le jardinier. Fantasme d’adolescente ? Réalité dérangeante mais bien certaine ? Dans tous les cas, Justine projette tout, absolument tout sur cet homme plus âgé qui la fait vibrer rien qu’à penser à lui.
« J’ai l’impression d’avoir trouvé la clé pour sortir de ma prison, mais sans oser l’introduire dans la serrure. » (p.201)
« Parce que près de lui, plus rien n’a d’importance. Ni les humiliations qu’on m’a infligées, ni ma tristesse, ni les filles qui disparaissent, ni celles qui sont vulgaires et bagarreuses, ni l’ennui noyé dans l’alcool, ni mes parents qui n’arrivent pas à m’aimer, ni l’indécision de mon apparence. » (p.243)
L’incandescence du soleil sur Cressac est proportionnelle au fait divers qui secoue le village et aux pensées et sentiments de Justine. Il irradie littéralement de ce récit une force solaire à travers la voix d’une jeune fille, prisonnière d’un carcan encore adolescent, mais aspirant plus que jamais à vivre les prémices de sa vie de femme. Un point de rupture initiatique, dont le roman questionne avec une tension grandissante le succès ou l’échec à venir. Un désir d’ailleurs, un désir d’autrement, un désir d’autre chose, de quelqu’un d’autre…
« De cet âge qui est le mien, que j’avais attendu longtemps et que je ne veux plus, que je veux laisser très loin de moi, très loin derrière moi, déjà, à peine atteint. Je ne veux plus avoir seize ans. Je veux être adulte et loin d’ici, quitter toutes les personnes que je connais et leur devenir une inconnue. (p.138)
Et si rien ne devait véritablement se passer comme prévu au cours de cet été ? Si ce soleil trop généreux contribuait à un aveuglement de l’adolescente ? Quelle(s) vérité(s) pourrait-elle alors (se) découvrir ?
« Je veux devenir une fille, avec toute la noblesse et la majesté d’une fille. Être cette fille. » (p.283)
Timothée Stanculescu signe là un premier roman extraordinaire, merveilleusement bien écrit. Elle fouille la psyché d’une adolescente lambda avec brio, et donne littérairement corps à ce quotidien tout provincial que tant connaissent. Cela permet au texte de sonner juste : nous sommes ancrés nous aussi à la terrasse du jardin à côté de Justine, nous sommes englués dans la chaleur de sa chambre et de ses désirs… Coup de cœur, et une belle entrée à saluer dans le monde littéraire !
« Je ne veux pas que tout continue comme avant, comme si de rien n’était. Faire semblant qu’il ne m’est rien arrivé cet été, que je n’ai pas changé, que je n’ai pas rêvé, pleuré, que je n’ai rien compris de terrible, que je n’ai pas appris mon âge. » (p.355-356)
L’éblouissement des petites filles, Timothée STANCULESCU, éditions FLAMMARION, 2021, 359 pages, 19€.