
La jeune Manon est, à dix-sept ans, une jeune fille plutôt bien dans ses baskets, cultivant sa passion pour le surf et pour la BD dans sa ville de Vannes, en Bretagne. Ultra-protégée par sa mère, couvée par l’un de ses deux frères aînés, elle a à peu près réussi à faire le deuil du mariage de ses parents, divorcés mais en bonne entente.
Lors d’un festival de la BD, Manon rencontre Gérald, le quinquagénaire directeur d’une collection de BD dans une maison d’édition parisienne. De suite, il est emballé par le potentiel de Manon et lui propose de publier sa future BD. De suite, il est plus que charmé par l’adolescente : l’obsession s’annonce…
Une relation fusionnelle naît entre l’éditeur et l’artiste en herbe. Seulement, cela ne se limite pas aux propos sur la BD de Manon : très vite, des mots d’amour saturent la correspondance téléphonique et électronique entre les deux, avec l’assentiment absolu de la femme de Gérald, Viviane, une enseignante souffrant d’une grave maladie. Le trio essaie de se voir sur Vannes, sur Paris : le couple comble Manon de cadeaux, partage une même chambre d’hôtel avec elle. L’immoralité rôde…
« Alors tu es entre nous. Pas un « entre nous » qui sépare, plutôt un « entre nous » amusé qui rapproche encore un peu plus – si c’est possible, parce que plus fusionnels que Gérald et moi, c’est difficile. » (p.21)
« Et c’est vrai. On s’aime, lui, toi, moi, dans cette bulle qui n’appartient qu’à nous. » (p.37)
Gérald tente de suggérer à Manon son désir physique d’elle, mais cette dernière se refuse absolument. Elle aime à la folie son éditeur, mais elle se refuse à se donner, malgré des fantasmes certains. Mots d’amour et chastes câlins devront suffire.
« Je ne vous demande pas de me comprendre. Oui, j’aime un homme de cinquante-six ans, d’un amour quasi platonique. Et j’aime sa femme comme une sœur. Quoi que vous en pensiez, quoi que vous fassiez, cet amour existe. Tout ce que je vous demande, c’est de ne pas me juger. Je ne suis pas une petite fille naïve, encore moins une victime. » (p.130)
Jusqu’au jour où la mère de Manon découvre le pot-aux-roses : sanctions, menaces, mesures, garde rapprochée, main courante, Pascale se démène pour protéger sa fille de celui qu’elle juge comme un prédateur. En effet, elle est scandalisée de ce qu’elle découvre dans leurs échanges, outrée des subterfuges que sa fille (aveuglée ?) tente de mettre en place pour sauvegarder sa relation avec Gérald.
« La dissimulation, les non-dits, les mensonges, toujours avec cet aplomb désarmant qui souffle mes certitudes. » (p.14)
Pire, Manon révèle, au détour d’un suivi psychologique, que le fils d’un très proche ami de la famille, Luc, lui a fait subir des attouchements lors de son enfance et au début de son adolescence. Or, si la jeune fille considère sa relation avec Gérald comme absolument normale, elle décide de porter plainte contre Luc. Paradoxal, non ? Que représente cet homme pour elle ? Le substitut d’un père pour l’aider à se construire ? Peut-elle s’affranchir de l’emprise du couple sur elle, aidée par sa famille ? Quel électrochoc faudra-t-il pour que Manon suive son instinct de jeune fille et non les préceptes manipulateurs d’un mentor sans doute psychologiquement perturbé ?
« Quel mal faisons-nous ? Aucun ! Ces semaines qui passent sans qu’on puisse se voir, on ne les rattrapera jamais. Un irrémédiable gâchis à cause de ceux qui, confits de bien-pensance, veulent voir le mal partout. J’enfourche mes obsessions. J’ai besoin de toi, Manon. » (p.140)
Comment le petit monde de l’édition peut-il rester aveugle à cette relation tendancieuse ? Faudra-t-il que Manon règle ses comptes avec Luc d’abord pour ensuite réenvisager sa relation avec Gérald ?
« Il te dit qu’il t’aime et tu l’aimes de t’aimer. » (p.72)
Le roman de Manon Fargetton est passionnant et original dans sa forme puisque la narration est assumée à plusieurs voix et, contre toute attente, rarement par celle de Manon : la polyphonie est celle de Pascale, du père, des frères, de Luc, de Gérald, de Viviane… Tous donnent à voir une perception concordante de Manon et bâtissent peu à peu le portrait d’une jeune fille en pleine (re-)construction. Les formes narratives varient : extraits de correspondance électronique, textos, rapports médicaux ou psychologiques, missives juridiques… Un rapport complet pour une adolescente tiraillée entre deux entités masculines toxiques.
« Aimer, être aimée, admirer, être admirée, idéaliser, être idéalisée, tu mélanges tout. Tu réécris la réalité, tu l’enjolives. L’image que Gérald a de toi te flatte, alors ça devient de l’amour. Ce n’est pas de l’amour. Ce n’est pas cela, être aimée. » (p.232)
La parole de l’adolescente est donc au centre du récit : affabulation ? fantasme ? réalité ? vérité ? Un récit qui questionne avec justesse la mise en danger – extérieure ou intérieure – d’une jeunesse qui se découvre. Passionnant.
« alors je ne peux pas m’empêcher de me demander ce que tu vas en faire, de ces années, de ces mensonges, de ces entailles. Comment tu vas avancer avec tout ça. Et vers où. » (p.407)
Tout ce que dit Manon est vrai, Manon FARGETTON, éditions Héloïse d’ORMESSON, 2021, 415 pages, 21€.
Sujet intéressant, à donner à lire aux ados peut-être…
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De grands ados je pense… Mais à voir !
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