A dévorer !

« L’amour par temps de crise », Daniela Krien : « laisse-moi rester femme… » (Rentrée littéraire 2021)

Être une femme aujourd’hui, en Allemagne ou ailleurs. Se débattre avec ses désirs, ses envies ; être tiraillée par sa raison ou la force de ses sentiments ; assouvir ou non un désir d’enfant ; se soumettre ou revendiquer farouchement sa liberté… Autant de dichotomies on-ne-peut-plus modernes et séculaires à la fois que l’extraordinaire roman de Daniela Krien narre sous la forme de cinq portraits successifs de femmes contemporaines, femmes étroitement liées entre elles par un lien familial, professionnel ou autre… Chacune donne à voir une situation de vie critique, un point de rupture entre des désirs inassouvis et une situation subie, le mâle dominant ayant (trop souvent) eu raison d’elles…

« Nous aurions dû être plus malignes, dit-elles, maintenant c’est trop tard. Maintenant on voit bien qu’il y a chez nous un truc qui cloche. » (p.95)

Il y a ainsi Paula, une libraire passionnée qui vit difficilement la mort de sa deuxième fille, et dont le deuil a ruiné à tout jamais le couple sur lequel elle misait tant. Alors, depuis, elle comble sa béance dans les bras d’autres hommes, peut-être dans une quête ignorée de trouver celui qui apaisera sa douleur de mère meurtrie.

« Aucun être n’est jamais comme on voudrait qu’il soit. Paula espérait que le temps comblerait le hiatus entre désir et réalité. » (p.19)

On poursuit avec Judith, la meilleure amie de Paula. Médecin droit et rigoureux, Judith cultive un célibat certain tout en enchaînant les amants rencontrés sur des sites de rencontres. Bien sûr, elle y croit à chaque fois. Mais tout se passe comme si la douleur de son premier amour, vécu avec un professeur d’université, avait laissé une cicatrice qu’aucun homme ne peut totalement effacer.

« Judith ne croit pas au destin. Ce que les gens nomment destin n’est rien d’autre que la somme de leurs décisions. » (p.126)

Judith a entre les mains le manuscrit de Brida, une écrivaine qui a dû batailler pour trouver le temps d’accoucher de ses premiers écrits tout en accouchant des enfants qu’elle a eus avec un menuisier, Götz, coup de foudre absolu. Mais avec cet homme, elle a compris que l’exclusivité ne serait jamais vraiment de mise. Alors elle se tait, reste disponible, et espère demeurer la première, malgré les autres…

« Pour lui elle a supporté et supporte à nouveau d’être la seconde celle dont il ne parle pas. Alors que sa place légitime est auprès de lui. » (p.195)

Les autres, il y en a et il y en eu, notamment Malika, une musicologue reléguée au second plan par ses parents, tout entiers dévolus à sa plus jeune sœur. Malika n’a jamais vraiment séduit si bien que, lorsqu’elle rencontre Götz, elle croit en cet amour qui enfin la fait vibrer. Seulement, le désir d’être mère ne parvient pas à être comblé, et le couple de s’étioler, et Götz de préférer les bras de Brida…

« Le seul homme qu’elle a aimé l’a trompée et abandonnée. » (p.320)

Le récit s’achève par le portrait de la sœur de Malika, Jorinde, talentueuse comédienne mais épouse malheureuse auprès d’un homme égocentrique et immature. Lorsqu’elle découvre qu’elle attend un enfant de son amant, son monde s’écroule. A quoi renoncer ? Qu’accepter ? Est-ce là l’occasion de renouer avec Malika ?

« A sa sœur non plus elle n’a pas dit jusque-là toute la vérité sur l’état de son couple. (p.279)

Ces cinq portraits de femmes, qui alternent tous entre le passé et le présent, sont d’une concision remarquable. Chaque récit à l’intérieur du récit questionne une problématique : l’amour (amoureux, filial, amical), l’adultère, la compromission, la maternité – qu’elle soit possible ou impossible -, le reniement. Toutes sont confrontées à des choix, assumés ou subis. Daniela Krien donne à chacune une humanité extrêmement sensible, qui nous touche au plus profond.

Et les hommes dans tout cela ? Indubitablement, ils n’ont pas forcément le beau rôle : versatiles, volages, concupiscents, dominateurs… Peut-être sont-ils au final les plus fragiles, à y regarder de plus près, une fragilité d’hommes sans volonté, face à des femmes obligées de puiser en elles pour trouver la force, la vraie.

Ce texte est d’une richesse folle pour célébrer autant que questionner ce qu’est être une femme aujourd’hui. En d’autres termes, on a là un texte de référence, qui se doit de compter.


L’amour par temps de crise, Daniela KRIEN, traduit de l’allemand par Dominique Autrand, éditions ALBIN MICHEL, 2021, 326 pages, 19.90€.

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