
Marie a trois enfants, anonymés dans le texte : sa fille, son fils et « sa bébée ». Trois petits trublions pleins de vie, trois enfants ardemment désirés, trois composants fondamentaux d’un socle familial tranquille.
« Il y a d’abord toi, ma fille, onze ans d’une liberté forcenée. Et puis il y a toi, mon fils, qui viens d’avoir neuf ans, la douceur alliée à la rêverie. Enfin, il y a toi, ma bébée de cinq ans, rousse, solaire. » (p.10)
La mère de famille, dans son texte, alterne entre récit de moments de vie, vécus avec ses enfants (et la société), et des lettres qu’elle écrit à ses trois enfants. Une dialectique narrative qui structure une femme scindée en deux : en effet, on perçoit, à travers chaque mot, le combat qui se joue souvent en elle, entre son amour inconditionnel et absolu pour sa progéniture, et ses désirs d’un avant plus calme, plus posé (plus égoïste dirait certains ?) et potentiellement d’un après plus léger. Être une mère, un choix assumé, un désir, mais le constat aussi et surtout d’une vie radicalement modifiée, bouleversée. Ainsi, il est question du monstre domestique qui rappelle à chaque minute que l’inactivité n’a pas lieu d’être quand on est une mère ; des week-ends espérés qui tournent au fiasco face à la tyrannie des petits ; les nuits sans sommeil pour soigner l’enfant malade… Pourtant, ces constats pessimistes sont pétris d’amour : au-delà de la dimension sacrificielle des figures parentales (et sans doute encore plus maternelles), il se joue autre chose. L’extase de voir devenir ces petits-êtres des entités porteuses de liberté, de choix assumés et éclairés…
« Parfois, dans ma vie, ma vie avec vous, la joie éclate, mais elle reste furtive, elle s’évanouit dès que je la nomme. Une autre force la chasse, la fatigue, l’habitude ou le poids du jour. J’ai longtemps regretté la fin de cette joie viscérale. C’est vrai, j’ai perdu ces bourrasques, ces hilarités qui dominent le monde. En échange, ce qui m’a quittée aussi, c’est le désespoir, les idées noires qui parlent d’une vie ratée, inutile, la souffrance mentale qui se dévore elle-même. Il y a moins d’acide dans ma vie. L’amertume est partie avec la rencontre avec votre père, puis avec vous, mes enfants, qui déversez l’évidence du charnel, l’urgence des baisers. Pourtant, à l’aveugle, clandestinement, mon corps cherche encore cette énergie du soulèvement. » (p.45)
Instants de vie de famille lors desquels la richesse des instants vécus l’emporte heureusement sur la lassitude, « testament » vivant à ses enfants en dix-huit lettres qui leur déclarent un amour inconditionnel, Ce qui gronde évoque le fil ténu qui, en toute mère, menace sans doute l’équilibre fragile entre dévotion et exaspération.
« Depuis quelque temps, une forme d’urgence s’est installée. Une urgence de vous. Le sens d’une menace, un souffle chaud et rauque. L’urgence de vous parler à vous, maintenant. Tout s’accélère. Je ne veux plus m’arrêter. Il me faut vous dire. » (p.14)
C’est dire si ce texte tord le cou à l’image de la mère parfaite : la « vraie mère », si on nous passe l’expression, est aussi cette femme qui aspire à ses pauses, à ses quelques pages de lecture le soir, au silence… Une femme qui s’abstiendrait bien de toutes les remarques acerbes que l’on peut faire sur sa manière d’être et de faire. Le roman de Marie Petitcuénot érige le danger de la tyrannie domestique, rappelant qu’être une mère n’est pas forcément tout, n’est pas forcément une vocation, pourvu qu’au final, il y ait seulement de l’amour, beaucoup d’amour.
« La maternité est une hypocrisie qui se perpétue de génération en génération. Un mensonge qu’on respecte tous. Je ne comprendrai jamais. » (p.34)
On l’aura compris : il s’agit de s’abstenir de juger et de respecter la liberté de toute femme à assumer le rôle de la mère de son choix. Une évidence ? Pas tant que cela, si l’on considère notre société actuelle.
« La maternité n’est pas un destin, elle ne peut pas être notre malédiction. » (p.162)
Retenons du texte que les moments de lâcher-prise sont les meilleurs vécus par la famille. A bon entendeur…
« Je ne sais pas si nous sommes heureux, mais j’aimerais que nous soyons sincères, de cette sincérité puissante qui partage, qui offre, qui veut aller au fond. » (p.13)
Ce qui gronde, Marie PETITCUENOT, éditions FLAMMARION, 2021, 183 pages, 18€.
En cours pour moi… je lirai ta chronique ensuite !
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Vaste sujet que le rôle d’une mère aimante, qui doit avoir l’oeil à tout, penser à tout et en même temps, trouver son équilibre personnel…
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C’est tout à fait cela. Une quête de liberté tout en aimant absolument ses enfants…
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