
Lorsque David et Marilyn se rencontrent en 1975, c’est une évidence entre eux. Lui, l’étudiant en médecine et elle, intéressée par la littérature. Un coup de foudre brûlant, consommé séance tenante, avec la certitude que leur histoire durera pour la vie. Vous êtes sceptiques ? Eux non : ils savent l’exclusivité de leur amour, la force indéfectible de leur désir, la permanence de leur union fusionnelle.
« même après quarante ans de mariage, elle savait que David serait toujours à elle, à tous points de vue. Que leur amour était exclusif. » (p.465)
De ce couple, de ce mariage, naissent quatre filles : Wendy l’indomptable, Violet l’intellectuelle, Liza l’effacée et Grace la petite dernière. Pour Marilyn, ces grossesses successives, plus ou moins désirées selon les cas, sont une mise à l’épreuve journalière : la maternité lui sied, mais les moments de désœuvrement et de doute questionnent la suprématie de son amour maternel sur son amour conjugal.
« Il aimait ses filles, bien entendu. […] Mais il aimait encore plus Marilyn. Il avait fini par accepter ce fait. » (p.224)
« Cette nécessité, si souvent négligée, d’exister en dehors de leurs enfants. » (p.415)
La fresque que propose Claire Lombardo se fait dans un entrelacement entre deux temps : celui du point de départ de la relation entre David et Marilyn, jusqu’aux années 2010 et celui de cette année 2017, moment clé avec la réintégration dans la famille Sorenson de Jonah, le fils caché que Violet a eu lorsqu’elle était adolescente. Ces deux temporalités sont autant de prétextes savoureux à l’intrigue dramatique du récit : ainsi, la genèse de la famille Sorenson, qui démarre en 1975, explore les thématiques du mariage, de la maternité et de l’amour familial, de l’éducation, mais aussi encore des choix que l’on fait dans une vie, les bons et les mauvais, les tâtonnements et les errances, inhérents à toute construction d’individu. Claire Lombardo nous donne ainsi à lire la complexité à devenir et à être dans une fratrie, dans laquelle peuvent souvent primer les désirs personnels sur l’intérêt commun. Mais l’amour, au-delà de ces fils plus ou moins distendus, au relâchement relatif, triomphe malgré tout.
« Peut-être que si personne ne pouvait vous sauver de vous-même, quelqu’un pouvait malgré tout vous apaiser, et rien que cette idée était délicieuse. » (p.652)
L’autre temporalité, celle de l’année 2017, confronte les personnages à leur responsabilité passée et présente d’adultes. Des adultes qui demeurent en devenir, n’en déplaise à leur historique parfois mouvementé : de fait, David est à la retraite tandis que Marilyn a repris avec enthousiasme une quincaillerie ; Wendy oublie les deuils de sa vie en la brûlant presque par les deux bouts ; Violet s’ennuie dans son mariage et tremble du retour dans sa vie de Jonah ; Liza tient à bras levés l’hypotonique Ryan tandis que Grace ment sur sa vie étudiante pour ne pas meurtrir sa famille. Le constat est donc le suivant : même adultes, les enfants demeurent dans la construction (et pour cela, il est parfois nécessaire de revoir les fondations, voire les détruire…). Les filles se heurtent entre elles, avec leurs parents, comme si rien n’était jamais vraiment acquis. Pour elles, l’image du mariage fusionnel donnée par leurs parents est un mur infranchissable que leurs propres ambitions ne peuvent égaler.
« On a toutes des problèmes relationnels parce que papa et toi vous aimez plus que vous ne nous aimez, nous » (p.463)
Peuvent-elles alors s’épanouir et advenir à l’ombre de leurs parents ? Peuvent-elles comprendre que la représentation idyllique qu’elles en ont n’est peut-être qu’un mirage ?
« Elle avait les mêmes soupçons que lui. Toutes leurs filles allaient mal. Leur famille partait à vau-l’eau. » (p.115)
Avec talent, Claire Lombardo explore et fouille à l’extrême le concept de la famille, dans son unité globale comme dans l’analyse de chacune de ses entités. Le portrait de famille qui en résulte est d’une touchante et belle complexité, nous renvoyant en écho à notre propre schéma familial : où en sommes-nous de notre genèse personnelle ? Quel impact nos proches ont-ils sur nos vies, de la naissance jusqu’à l’âge adulte ?
Tout le bonheur du monde est un roman exceptionnel, qui absout les parents comme les enfants de leurs erreurs.
« Gaffe maternelle numéro 429. Dire qu’elle remettait le compteur à zéro chaque année. » (p.80)
Car, après tout, devenir et être une famille est un apprentissage de tous les instants : on peut être investis des meilleures intentions du monde et se tromper. Tant pis, pourvu que l’on aime malgré tout.
« Dans les moments de tension, ils n’auraient de cesse de répéter cette expression : Tout le bonheur du monde… » (p.173)
Quand la famille devient prétexte romanesque épique, on en redemande…
Tout le bonheur du monde, Claire LOMBARDO, traduit de l’anglais (États-Unis) par Laëtitia Devaux, éditions RIVAGES, 2020, 703 pages, 24.90€.
Note : La traduction française a laissé passer plusieurs coquilles conséquentes à l’impression (« à moi tour » p.346 ; « son véritable courage aller se révéler » p.501)
Toujours intéressant voire surprenant le sujet de la famille !😉
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Et il y en a d’autres à venir 😉 Bon dimanche ❤
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