
Non non, vous ne rêvez pas, le titre de ce nouveau lu contient bien une virgule. Cela s’explique par le fait que le récit de Julie Bonnie est un roman épistolaire entre une femme et le père de sa fille, la petite Tess, tout juste née.
La jeune femme, anonyme, se résout à écrire de longues missives à l’homme qu’elle aime, un certain Diniski, car ce dernier, musicien de jazz adulé, doit honorer une longue tournée mondiale de concerts. Autant dire que le timing n’est pas idéal. Alors, la correspondance, en complément des quelques appels téléphoniques, aura valeur de jonction entre les amoureux.
Cependant, jamais ces lettres ne seront envoyées. Elle garde les lettres pour elle, tandis que lui, écrivant pour sa « Fée », y révèle son adultère quotidien avec l’attachée de presse du groupe. Jamais elle ne le saura, entièrement dévolue à son nouveau rôle de mère, qu’elle vit dans une béatitude proche de l’extase.
« Je l’aime d’une façon qui n’existe pas, avec la force d’une mer déchaînée. » (p.13)
De même, jamais elle ne saura que ce rôle de père, il ne l’a pas franchement souhaité, lui qui tente de se dépêtrer de l’aura de son propre père, musicien de renom avant lui et qui l’a durement formaté pour devenir à son tour un artiste connu.
« Un père qui ne croit pas en moi et qui m’ordonne d’être meilleur que lui. » (p.38)
« Je l’aurai quand, ma vie à moi tout seul ? Je fais comment pour exister, Fée ? » (p.131)
Ainsi, la figure du père, monstrueuse, spectrale, flotte sur sa passion comme un étendard noir. Peut-il échapper à cet homme auquel on ne cesse de le comparer ? Est-ce le gage pour qu’à son tour il assume sa paternité ?
« Je suis coincé. Ma Fée, mes pensées colorent de noir un ciel d’incendie. » (p.60)
Quant à l’adultère en tournée, Diniski minimise : tout le monde le fait ! Et puis, Suzanne, il ne l’aime pas. Avec elle, il se sent juste vivant, homme à nouveau. C’est sa « Fée », telle qu’il la nomme, qu’il aime.
Alors, le couple, nouvellement parents, peut-il surmonter l’épreuve de la séparation alors que l’étape de la naissance met déjà à rude épreuve la perception de l’un et de l’autre ?
« Quelle sorte d’homme laisse sa Fée dans une situation si périlleuse ? J’ai peur de ne pas y arriver, mon amour. Tu es loin, dans les paillettes, quand ma vie se résume à un bébé, du lait, du sang. » (p.29)
Comment la « Fée », dévolue à son nouveau rôle de mère, va-t-elle appréhender l’entrée dans sa vie de Georges, un ami d’une amie, colossal artiste tourmenté de suite subjugué par la nouvelle madone à l’enfant ?
Que restera-t-il du couple au terme d’un mois de séparation ?
« C’est long, un mois. Est-ce que nous nous reconnaîtrons quand tu rentreras ? » (p.11)
De lettre en lettre, entre deux sublimes déclarations d’amour – amoureux, maternel, amical -, chaque membre du couple semble s’enfoncer dans la tentation d’un ailleurs, d’un autrement qui relève ponctuellement du tourment. Chaque missive devient prétexte à une réflexion sur la création (d’une œuvre, d’un être, d’une relation…) et la possible destruction. Qui, de Diniski ou de la Fée, sera dépassé par son acte ?
« Je suis équilibriste sur ce fil minuscule qui délimite la vie et la mort. Une explosion en apesanteur, figée net, suspendue, et ui continue à cracher de la lave alors que le temps ne passe plus. » (p.157)
Récit au contenu inattendu, progressivement addictif, Mon amour, sublime la relation amoureuse, ses dérives possibles, et questionne avec pertinence ce qu’est être parent. Il ressort de chacune des missives une poésie déconcertante comme si celle-ci légitimait l’exclusivité (amoureuse, maternelle, amicale) de chacun des protagonistes.
Délicat et fort à la fois.
Mon amour, Julie BONNIE, édition de poche POCKET / éditions GRASSET 2015, 190 pages, 6.50€.