
L’adultère peut être tentante lorsque l’attrait et le désir irraisonné pour une autre femme s’emparent d’un homme. Mais la vengeance dont il peut être la victime conséquente n’a pas à être ignorée car tout aussi destructrice que la liaison extra-conjugale…
« Ce n’est pas Zenia qui vole Christian à Leonora. On ne possède pas une personne, on a le droit de tomber amoureux, de rencontrer de nouveau l’amour. C’est Leonora qui voudrait voler Zenia à Christian. Et c’est ce qui a envoyé Christian sur le front d’une guerre implacable. » (p.326)
Cette dualité, Christian, chef d’entreprise dans la construction, l’éprouve vivement et à ses dépens lorsque sa femme Leonora découvre sa liaison avec sa collègue architecte Zenia. Des textos tardifs la nuit, une soirée qui les prend en flagrant délit : le monde bien ordonné de l’ancienne violoncelliste éclate. Elle crie à l’injustice : elle a sacrifié sa vie pour son unique fils, Johan, aux prises d’une grave maladie. Elle a renoncé à sa carrière, ses plaisirs, pour se dévouer corps et âme afin de sauver son fils tandis que Christian n’a pas économisé ses heures pour pourvoir aux énormes frais pour la prise en charge de la santé de leur fils. Alors être larguée tandis que Johan fête son bac et qu’elle s’apprête à savourer un bonheur et une tranquillité bien mérités ? Leonora n’a pas dit son dernier mot…
C’est lui qui veut partir, mais avant il veut l’écraser. Cela ne lui suffit pas de l’abandonner, il veut aussi la détruire. Pourquoi ? Elle n’a pas commis d’autre crime que leur vouer sa vie, à lui et à Johan. » (p.210)
Refusant d’être abandonnée maintenant que son fils s’apprête à voler de ses propres ailes, Leonora confronte Christian à un dilemme : soit il quitte son nouvel amour, soit Leonora révélera à la police les entourloupes fiscales faites avec son entreprise lorsqu’il a fallu étoffer la trésorerie pour subvenir aux frais médicaux élevés de Johan. Christian tremble : renoncer à Zenia ? Non, il l’aime, c’est une évidence. Aller en prison pour fraude ? Non plus… Et si le plus simple était de se débarrasser de Leonora ?
« Elle n’est plus un être humain, elle n’est plus Leonora, sa femme depuis plus de vingt ans, la mère de leur unique enfant. Elle est autre chose, une ennemie, une menace. » (p.15)
Plusieurs nuits sans sommeil et la pression de son épouse sur lui ont raison de l’entendement de Christian : en manœuvrant bien, il peut écarter définitivement Leonora de sa vie. Mais le destin, ironique, se charge de contrecarrer son funeste dessein… pour pire encore. Tel est pris qui croyait prendre : la dynamique des forces s’inverse pour un retournement de situation redoutable que l’on ne dévoilera évidemment pas. Retenons que l’on trouve parfois plus fort que soi en la victime que l’on désignait…
« En réponse à cette idée folle qui soudain envahit son esprit. A propos de Leonora, l’idée que, quelque part dans ce paysage propice au drame, elle l’attend, ne le perd pas de vue et le ferait basculer avec plaisir si elle en avait l’occasion. » (p.204)
Récit palpitant sur le couple, son essoufflement et ses atermoiements, Amour entre adultes questionne ce que l’on dit, ce que l’on tait, ce que l’on dissimule à l’autre.
« L’homme qu’elle aime, le père de son seul enfant, l’homme à qui elle a confié sa vie, avec lequel elle a tout partagé, les joies, les chagrins, l’homme qu’elle connaît si bien qu’il est presque devenu une partie d’elle-même, comment croire qu’il la trahisse ? » (p.70)
Le don de soi, le sens du sacrifice et de l’épreuve entre un mari et son épouse, entre rancœur et amertume, sont intelligemment traités. On tergiverse quant aux personnages : Christian n’a-t-il pas le droit de ne plus aimer sa femme ? Leonora ne peut-elle accepter qu’il vaille parfois mieux abandonner plutôt que de ne plus être aimée ? Anna Ekberg excelle à éviter tout manichéisme que l’on pourrait redouter (Christian en salaud magnifique, Leonora en épouse délaissée éplorée…) en étoffant l’épaisseur psychologique du couple de son pendant soit négatif soit positif.
« Que faire quand l’amour est mort ? On devrait se mettre d’accord au début de la relation. » (p.97)
Originalité notable du récit (et un peu superflue) : l’épopée matrimoniale de Christian et de Leonora est relayée, dans plusieurs chapitres insérés dans la narration, par le policier qui, à l’époque, travailla sur l’affaire. Ce flic, maintenant à la retraite, raconte le jour du mariage de sa fille Josefine à celle-ci l’histoire de cette sombre affaire, tout en repensant à sa propre histoire de vie avec son épouse aujourd’hui décédée. Un fil narratif certes intéressant pour maintenir en haleine tant Josefine que le lecteur, mais sans intérêt diégétique particulier.
Il n’en reste pas moins que ce roman est passionnant : à lire sans hésiter !
Amour entre adultes, Anna EKBERG, traduit du danois par Laila Flink Thullesen et Christine Berlioz, éditions du CHERCHE MIDI, 2019, 444 pages, 22€.
Et un de plus dans la PAL !!! 😉
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