
Paul Ménard est médecin de campagne dans la Beauce. Respecté par la population, il jouit d’une très belle réputation, du fait d’une empathie sans limite pour sa patientèle, de son dévouement qui l’amène à travailler six jours sur sept, du temps nécessaire qu’il accorde à chacun.
Fils d’un chirurgien cardiaque froid et distant, Paul Ménard a consacré sa vie à aider les autres, lui qui, enfant, n’a pu empêcher sa mère de mourir d’un cancer et son père de ne pas le convoquer de sa pension pour les funérailles. Un don de soi sans équivalent sans doute après un tel drame initiatique. Sa vie pour celle des autres.
Alors que le docteur Ménard atteint la cinquantaine et que ses jumeaux, Quentin et Manon, ont quitté le nid, c’est un peu désœuvré qu’il se retrouve dans sa belle demeure bourgeoise avec Hélène, sa femme sans chichi, épousée il y a plus de vingt ans. Un amour raisonnable, sans passion affichée, mais un amour aux racines solides, à la bonne entente presque amicale.
Lorsque Camille Ellis, une jeune femme d’une bourgade voisine, croise la route de Paul Ménard, c’est pour le docteur une fulgurance, une évidence : belle à se damner, elle incarne le désir incandescent qu’il en était venu à oublier.
« C’était irréel. Personne s’habille en blanc par ici. Elle était très parisienne, très distinguée, comme échappée d’un film d’Hitchcock. » (p.30)
La belle Camille devient la patiente de Paul, mais une patiente bien compliquée : ses maux fluctuent d’une heure à l’autre, d’une zone du corps à l’autre… Fantasque, elle charme progressivement Paul et parvient à ses fins en devenant plus qu’une patiente. Il faut dire qu’elle a presque la voie libre : elle sait que le docteur s’ennuie dans son couple, tandis que son mari à elle, Marc, part régulièrement en mission dans le cadre de son poste d’aviateur dans l’armée. Seule reste à leurs côtés la petite Céleste, étrange enfant insaisissable.
Paul est littéralement ferré : Camille devient son obsession, sa drogue. Il fait fi de ses emportements, de ses volte-face aussi soudains qu’inattendus, ses contradictions qui le font douter de la véracité de ses dires. Ensorcelé, il lui pardonne bien volontiers ses approximations. Prêt à tout pour elle, Camille n’a qu’un mot à dire, et il obéira.
« J’étais comme aspiré par son aura. Toutes les alarmes clignotaient : attention danger ! Mais il fallait que je vive cette histoire. C’était une sorte de fatalité. […] C’est sa souffrance qui a rompu le barrage, sa souffrance qui a mobilisé en moi le médecin et l’homme. » (p.52-53)
« Je ne peux pas rater ça. Je ne peux pas passer à côté de cette histoire. Pour la première fois, j’aime quelqu’un corps et âme, sans aucune réserve. » (p.91)
De fait, lorsque Camille commence à se plaindre de Marc et de prétendues violences à son égard, Paul s’insurge : hors de question que l’on batte une femme. Il doit sauver sa belle Camille de son soi-disant tortionnaire : c’est son devoir de médecin, et encore plus d’homme. Mû par un dévouement sans limite, Paul se lie à Camille pour fomenter la disparition de Marc. Le couple adultère commet le crime presque parfait. Presque. Car Camille se brûle les ailes par excès de zèle. Les assises révéleront la suite…
« Autrement dit, est-elle une criminelle manipulatrice ou une simple affabulatrice ? » (p.278)
La Faussaire, premier roman inspiré d’un fait divers ayant réellement existé, manie les cartes du mensonge et de la vérité avec dextérité. Patricia Delahaie parvient à faire de Camille un être insaisissable, que l’on a envie de gifler à bien des reprises tant on perçoit la manipulation avec laquelle elle emprisonne son amant. Quant à Paul Ménard, on relèvera l’excellent travail de discernement fait pour traiter la complexité de son personnage : victime d’une emprise psychologique perverse, homme irréprochable vouant sa vie au secours d’autrui, est-il coupable du sort de Marc Ellis ? En voulant sauver Camille, rachète-il son meurtre ?
« En marge. Enfermé dans un monde indicible. […] Il ne peut plus parler à personne ni regarder qui que ce soit dans les yeux. Et pourtant, il est fier d’avoir poussé l’amour jusqu’à cette solitude. Pour Camille, il a donné sa vie, son honneur. Il le paie cher ! » (p.158)
En ce qui concerne Céleste, ce n’est que dans une prolepse vingt ans après les faits que l’on cerne mieux son personnage, lui aussi riche à souhait de zones d’ombre, striées d’évidences (salvatrices) lumineuses.
Au nom de l’amour et de ses valeurs originelles, comment en vient-on à s’oublier soi-même et à bafouer ce que l’on était ? Quelle part de mensonge avons-nous chacun en nous ? Comment le mensonge devient-il manipulation ? Si dans affabulation il y a la racine latine « fabula », c’est-à-dire la fiction, comment cette dernière peut-elle source de drames lorsqu’elle s’immisce dans la vie réelle ?
« Sommes-nous tous des faussaires ? […] Qui connaît-on vraiment ? Se connaît-on soi-même ? Jamais il n’aurait pensé qu’un jour, lui, le sauveur par vocation, tuerait un homme, a fortiori un patient. » (p.165)
Une bonne partie du roman tient de la fibre chabrolienne : un bourgeois de campagne aux prises d’un redoutable démon de minuit incarné par une vamp’ affabulatrice. Morale bien-pensante et perversité cachée : autant de thématiques riches et propres au cinéaste… Il y a aussi un peu de Zola et de sa célèbre Thérèse Raquin, héroïne au centre d’un malheureux et funeste triangle amoureux… Au final, Patricia Delahaie donne à un fait divers une épaisseur romanesque remarquable, tant dans la genèse du crime que dans l’après, où la prison confère au purgatoire symbolique. Pas de cliché, pas de topos dommageable que l’on aurait pu craindre du fait du fil narratif général.
« Il n’y a rien d’autre à dire. C’est une histoire bête à pleurer et vieille comme le monde. Je n’arrive pas à croire que tu sois tombé dans un panneau aussi… banal ! » (p.215)
Une très bonne découverte, plaisante à souhait.
La Faussaire, Patricia DELAHAIE, éditions BELFOND, 2022, 366 pages, 19€.
Un immense merci aux éditions Belfond pour l’envoi gracieux de ce roman.
Comme je les apprécie, ces thrillers psychologiques ! Le triangle amoureux, la manipulation, la province… du vrai Chabrol, oui !!! Hâte de le lire ! Et peut-être un film, s’il respecte l’auteur… c’est une autre histoire. Bonne journée à toi 🌞
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Le livre est totalement adaptable en film, ce serait une bonne idée. Si tu aimes les thrillers psychologiques, ce roman est fait pour toi 😉 Doux dimanche ensoleillé !
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