A croquer

« Légère », Marie Claes : sur le fil

La jeune Annabelle est une adolescente comme il en existe tant : une famille monoparentale, un petit frère à protéger, le quotidien au lycée. Mais la jeune fille s’est fixé l’objectif de manger moins, toujours moins : un ascétisme alimentaire qu’elle auréole d’une noblesse et d’une grandeur d’âme, loin des considérations pragmatiques de ce bas monde.

« Personne, au fond, n’a la légitimité de la juger : ce qu’elle fait est juste. Simplement, les autres ne la comprennent pas et n’ont pas encore découvert ce qu’elle a découvert, je suis ce que je mange, et elle refuse de n’être qu’un amas de cochonneries, qui peut accepter ça ? » (p.26)

Alors elle compte, elle compte tout, pourvu qu’elle ingère toujours moins. Et les kilos de s’envoler, et la faim, permanente, de la tirailler. Annabelle ruse pour berner son entourage : toutes les astuces sont bonnes pour donner le change, tant à la maison qu’au lycée. Annabelle est anorexique, et lorsqu’elle tombe à trente-neuf kilos, elle peine à réaliser le corps qu’elle s’est (dé)façonné. De la minceur à la maigreur, challenge réussi ? Le risque de la mort en prime ?

« Jusqu’où serait-elle capable d’aller ? » (p.109)

Violette, sa mère-courage, ne réalise pas immédiatement les troubles alimentaires de sa fille. Il faut un regard extérieur pour qu’elle prenne conscience que sa fille ne mange plus. Désemparée, ne pouvant vraiment la forcer, Violette alterne entre colère et désarroi : qu’est-ce qui motive cette détermination mortifère ? Que doit-elle faire pour que sa fille ne se conduise pas elle-même jusqu’à la mort ?

Marie Claes décrit un récit uppercut sur le mécanisme mental d’une adolescente plongée dans la spirale des troubles alimentaires : compter, peser, vomir, jeter, boire jusqu’à plus soif pour faire gonfler l’estomac… Le roman est clinique. Contre toute attente, pas de pathos : la légèreté physique d’Annabelle est doublée de sa façon de virevolter au-dessus des considérations qu’elle abhorre. Contre-point empathique : le personnage de Violette, mère qui ne peut contrôler l’alimentation de sa fille et mettre des mots sur ses troubles.

« Des larmes commencent d’emplir ses yeux, elle fait une pause, reprend son souffle et recommence de plus belle, mais merde, pourquoi elle refuse de manger, il se passe quoi, ils doivent faire quoi pour qu’elle remange normalement […] Violette implore en hurlant, elle dit voilà, je te supplie, je t’en prie, pardonne tout ce que j’ai fait mal mais mange, mange, MANGE. MANGE. » (p.78)

Dans un phrasé saccadé, aussi segmenté que les minuscules bouchées qu’Annabelle daigne s’octroyer, Marie Claes signe un premier roman nécessaire et vital sur un mal silencieux. Une écriture sur le fil pour une jeune fille filiforme dont la vie ne tient… qu’à un fil.

« elle le connaît par cœur, son propre poids et elle sait qu’il est impressionnant de travail et de santé. » (p.151)


Légère, Marie CLAES, éditions AUTREMENT, 2022, 185 pages, 16.90€.

1 réflexion au sujet de “« Légère », Marie Claes : sur le fil”

  1. Encore un problème de jeunes ados, difficile à résoudre. Je ne sais pas où en sont les progrès de la médecine à l’heure actuelle. Mais je pense que c’est un sujet très sérieux qui peut détruire des familles. Merci pour ton analyse 🌞

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