
Edie est une Afro-américaine de vingt-trois ans qui bosse dans une maison d’édition. Malgré son job, elle peine à boucler les fins de mois, entre le prêt étudiant de ses études d’art et le loyer de son appartement miteux et ses nombreuses sorties. Pourtant, l’envie de s’en sortir est là, foi chevillée au corps pour s’affranchir de racines familiales toxiques, entre un père pasteur paradoxalement démissionnaire de sa fonction paternelle et une mère toxico.
« Je ressens notre bêtise, ma dépendance à la densité de la ville, que j’ai passé tant de temps à haïr mais qui s’avère être le dernier rempart entre moi et un concentré de solitude de compétition. » (p.99)
Ses carences affectives, Edie tente de les combler de bras en bras, d’amant en amant, surtout rencontrés sur son lieu de travail. Trop souvent des coups d’un soir, rien de bien satisfaisant, absolument rien d’épanouissant..
« c’est juste qu’il y a parfois des heures grises et anonymes, comme maintenant. Des heures où je suis désespérée, affamée, des heures où je ne sais comment une étoile devient du vide. » (p.24)
Peut-être les choses peuvent-elles changer lorsqu’elle entame une liaison avec Eric, d’une vingtaine d’années son aîné. C’est sans compter sur sa femme, Rebecca, au fait de leur relation. Alors, cette dernière s’immisce dans cette idylle en dictant à son mari les règles du jeu avec sa maîtresse. Une initiative étonnante, sans doute tentative pour maintenir le souffle d’un mariage vécu en apnée au bout de treize ans d’union.
Lorsque Edie perd son travail puis son logement, elle panique. Mais Rebecca lui propose de venir chez eux. Un étrange manège se met alors en place, entre intimité et franche distance. La jeune Black peine à trouver ses marques ; alors, c’est le dessin et la peinture, ses passions, qui vont lui permettre de figer ces nouveaux instantanés d’une vie à laquelle elle n’appartient pas mais qu’on lui concède d’effleurer du doigt.
Étrange ménage à trois, au sein duquel la force n’est spontanément le fait du personnage auquel l’on penserait. S’ajoute Akila, la fille adoptive de Rebecca et d’Eric, qu’Edie apprivoise doucement. Est-ce le fait de leur couleur commune de peau ? De leurs origines, malheureuses et incertaines ?
« On trouve toujours comment documenter nos façons de survivre, ou dans certains cas, nos façons de ne pas y parvenir. J’ai essayé de reproduire une chose insondable. J’ai fait de ma faim un exercice, soumis tous ceux qui traversent ma vie à une lecture aussi minutieuse qu’inappropriée, qui trouve parfois son chemin, et souvent de manière insuffisante, en peinture. » (p.238)
Affamée livre plusieurs portraits de femmes de différents âges en lutte avec quelqu’un : l’autre, les autres, soi-même. Lutte avec son histoire. Passée. Présente. A venir, à définir… Des parcours de vie différents qui convergent à un moment donné lors de l’improbable cohabitation de ce ménage à trois. Une certaine tension, salvatrice dans l’économie du roman, naît de la gestion de ces différentes relations, mais il est difficile de ressentir une empathie durable pour l’un ou l’autre des personnages, car quelque chose d’eux nous échappe, en particulier leurs motivations respectives : qu’est-ce qui motive la « générosité » de Rebecca ? Que cherche vraiment Edie dans le dédale de sa vie ? Un récit intéressant, mais qui ne fera pas date dans ma mémoire de lectrice…
Affamée, Raven LEILANI, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Nathalie Bru, éditions 10 /18, 2021, 238 pages, 7.60€.