
Jeanne a continu la tyrannie, dès son enfance. Un père violent, injuste, imprévisible qui pour communiquer ne sait et ne fait que frapper. Sa femme. Ses filles. Les humiliations sont quotidiennes, ignobles. Dans le village, tout le monde sait. Mais tout le monde sait aussi qu’il vaut mieux se taire et fermer les yeux.
« Notre misère familiale venait d’ailleurs. Dans les agissements violents et l’inculture paternels, dans l’obscénité verbale, dans la fermeture d’esprit. » (p.27)
Jeanne n’échappe pas aux coups, et la lâcheté des autres ne lui échappe pas non plus. Alors, lorsque l’occasion lui est donnée de partir pour Lausanne étudier, c’est une délivrance. Pourtant, tous les codes de la ville qu’elle ne maîtrise pas la ramènent à son enfance malheureuse. Alors elle compose, fait de son mieux. Quelques amies lui inculquent des principes pour essayer de lui faire oublier son misérable passé. Et les amies de devenir amantes. Après tout, quitte à errer sur les chemins de l’âge adulte, autant s’enrichir des bonnes influences.
« Parce que je ne vis plus là, parce que j’ai renié ma famille et mon passé, je peux, enfin, inventer mes origines et peut-être aimer ces attaches que j’avais laminées avec hargne et colère. » (p.158)
Lorsque sa sœur se suicide, Jeanne est de nouveau happée par son ancienne vie. Elle se retrouve confrontée à leur bourreau, et la haine de grandir en elle. De son amour de fille, il n’y en a que pour sa mère, victime elle aussi, mais dont elle ne comprend pas le refus de quitter le domicile conjugal. Qu’est-ce qui peut sceller un être à son tyran ?
« Je ne sais pas prendre ma mère dans mes bras. Je ne sais pas caresser son dos. Ni sa main à quelques centimètres de la mienne. Je suis trop aride. Affligée par ses regards d’amour qu’elle me lance prudemment, pudiquement, que je ne sais pas rendre. J’ai honte de l’avoir recalée si loin de ma mémoire et de mon cœur. » (p.76)
Pendant des années, Jeanne ne cesse d’avancer, de s’essayer aux autres, avec plus ou moins de succès. Mais toujours le spectre du passé la harponne, la cramponne, fermement. Est-ce conscient de sa part ? A la demande de pardon qu’on lui implore, peut-elle envisager d’accorder un « oui » ? Pourquoi choisir de se consumer dans la haine ? Refus tacite de ne jamais oublier l’ignominie ?
Livre coup de poing que ce premier roman de Sarah Jollien-Fardel. Le parcours de Jeanne nous prend aux tripes, littéralement, parce que ce que la fiction narre d’horreurs la réalité les concrétise chaque jour. On ne nous épargne rien de la maltraitance et de ses conséquences, terribles. L’enfant amochée, privée de la meilleure part de sa vie, semble ne pouvoir espérer (ou envisager) un quelconque bonheur. A défaut, son illusion. Fracas d’un jour, traumatisme de toujours…
« Il a confisqué toutes nos allégresses. Il a massacré toutes nos jouissances. » (p.95)
Sa préférée, Sarah JOLLIEN-FARDEL, éditions Sabine WESPIESER, 2022, 200 pages, 20€.
« Fracas d’un jour, traumatisme pour toujours » et » la fiction raconte ce que concrétise chaque jour la réalité
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Mon message est parti trop vite Dslee… 2 formules magnifiques pour parler de ce livre qui est une des réussites de cette rentrée littéraire. Merci pour ce beau retour
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Un livre qui semble, effectivement très poignant mais que je ne me sens pas capable de lire en ce moment!
Merci pour la découverte!
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