
Emma a trente-neuf ans et une vie que l’on peut considérer comme réussie : un mariage heureux avec Leo, une petite Ruby qui fait leur bonheur, un métier dans lequel elle s’épanouit et une renommée certaine dans le milieu de la biologie marine.
Pourtant, Emma est en rémission, au sens propre comme au sens figuré : sa famille est son tout, son essentiel, elle qui a perdu sa mère à sa naissance et son père juste avant son diplôme de fin d’études ; Ruby est le cadeau inespéré d’années de difficultés à concevoir un bébé ; le crabe malin qui grignote son système immunitaire est en bonne voie d’être éradiqué par les traitements et la chimio…
« Mais il y avait toujours un aspect négatif, une ombre sur le sable. Il en va ainsi du chagrin : on ne peut pas le défaire malgré tout ce qu’on a acquis entre-temps. » (p.326)
Alors qu’elle est à un tournant de son existence, entre la vie possible et une mort envisageable et envisagée, Leo, dont le métier est d’écrire les nécrologies pour un journal anglais, a pour mission d’anticiper celle de son épouse. Au début, il hésite : en effet, difficile d’être objectif quand il s’agit de mettre sur papier la vie de celle qui est encore mais qui peut-être ne sera bientôt plus. Néanmoins, il se lance. Après tout, il assume le paradoxe de célébrer la vie sur papier de ceux qui ont trépassé.
Seulement, il se rend rapidement compte que ce qu’il propose manque d’éléments. Un comble alors qu’il s’agit de raconter la vie de celle qu’il aime depuis dix ans. Alors, il entreprend de faire quelques recherches sur Emma.
Quelle n’est pas sa surprise lorsque certains détails qu’il aurait pensés anodins commencent à émerger : de tout évidence, Emma ne lui a pas tout dit de sa vie passée. Omission(s) ? mensonge(s) ? Mais pourquoi ? Pourquoi avoir délibérément caché des faits que jamais il n’aurait imaginés ?
« Plus que tout, je voulais lui dire la vérité ; lui dire à quel genre de femme il était marié. Mais la raison pour laquelle cela m’était impossible était la même que toujours. Jamais Leo n’accepterait la vérité, ne pourrait l’accepter. Une petite poignée d’hommes en seraient capables, mais pas mon mari. » (p.52)
Quand la confiance vacille et que la croyance en l’autre s’assombrit, comment réagir ? Il m’est difficile d’en dire plus sur la suite du récit car tout l’intérêt, vous l’aurez compris, est de découvrir ce qu’Emma a pu cacher de sa vie passée. Permettez-moi juste d’indiquer que tant pour Leo que nous lecteurs, la révélation est bouleversante, déchirante. Forcément inattendue, et c’est là le génie du roman. Emma se révèle être un personnage profondément meurtri, tiraillé entre un présent heureux et un passé qui aurait pu l’être. A bien des conditions. A bien des compromissions.
« Il est toujours là. Il sera toujours là, et il n’y aura jamais aucune résolution, pour moi, parce qu’il est l’amour de ma vie. L’amour de mon autre vie, dois-je me rappeler avec lassitude, mais ce refrain commence à perdre de sa force, et mon cœur le sait. » (p.92)
Résilience, (re-)construction, révélation et pardon… Une richesse thématique certaine pour un parcours de vie, de couple et de famille(s) inédit.
L’amour de ma vie, Rosie WALSH, traduit de l’anglais par Caroline Bouet, éditions LES ESCALES, 2022, 444 pages, 22€.