Avec ce roman datant de 1962, la galloise Penelope Mortimer offre un touchant portrait de femme et surtout de mère qui, en 2018, questionne la tension entre liberté et captivité de la femme au sein du foyer conjugal.
La narratrice, dont nous ne saurons pas le prénom, convole en justes noces avec Jake Armitage, un scénariste à la popularité grandissante. Seulement, ce n’est pas son premier mariage : deux fois divorcée et une fois veuve, la nouvelle Mrs Armitage amène en dot à son mari une ribambelle d’enfants de ses précédentes unions. Optimiste, Jake compte lui aussi fonder sa propre famille, issue de son sang et de celui de son épouse. Et Mrs Armitage d’enfanter, plus, toujours plus…
Cependant, trop souvent livrée à la solitude du fait d’un mari trop souvent absent pour ses tournages, trop souvent oisive du fait d’un confort domestique bourgeois qui lui octroie domestiques et gouvernante, Mrs Armitage en vient à souffrir d’un spleen qui trop souvent la laisse en larmes. Soignée par un psychiatre, elle tente de comprendre le mal dont elle souffre. Serait-ce le désir d’enfanter, encore une fois ?
Ce sourd désir qu’elle caresse intérieurement se concrétise sans que Jake ait émis son approbation. Se sentant piégé par cette grossesse dont il ne veut pas, il demande à son épouse d’avorter. Le dilemme de Mrs Armitage est de courte durée : elle veut garder son mari. L’avortement est planifié et le couple semble sauvé.
Cependant, sur son lit d’hôpital, Mrs Armitage découvre une lettre passionnée de la maîtresse de Jake, une actrice qu’il a mise enceinte. Trahie, Mrs Armitage tergiverse une nouvelle fois : doit-elle quitter son mari infidèle ? doit-elle se taire, accepter et ne rien dire pour le bien de tous ses enfants ?
« – Mais tu ne vois donc pas ce qui se passe ? Tant que tu ne connaissais pas la vérité, nous étions heureux. A quoi cela sert-il d’aller constamment déterrer la vérité ? Elle est toujours désagréable.
– Tu estimes donc que seuls les mensonges sont agréables ?
– Généralement, oui. C’est pour cela que les gens mentent. Pour rendre la vie supportable. » (p.187)
Ce roman de Penelope Mortimer est celui d’une époque qui questionne le statut de la femme : celle-ci est déchirée entre le respect de la tradition matrimoniale, quitte à fermer les yeux sur les incartades de l’époux, et les envies de liberté et d’indépendance.
« Il m’avait déjà frappée d’incapacité, tourmentée, dépouillée de la plupart de mes illusions et d’une partie de mon ignorance » (p.244)
De fait, Mrs Armitage est moderne à bien des égards par son double divorce et sa propre volonté de multiplier les naissances. Et pourtant, elle est cantonnée à son statut de femme au foyer oisive par la cruauté adultérine de son mari.
« Présentons nos propositions, compilons nos faits, exposons notre affaire, exigeons nos droits. Les hommes (ces êtres logiques, courageux, humanitaires, créateurs, héroïques), les hommes nous accablent de leurs sarcasmes. Quel déluge d’insultes ! Entendez-vous ce qu’ils nous disent pendant que nous subissons tous les maux que la vie nous apporte entre la matrice et la tombe ? « Cesse d’essayer d’être un homme ! Cesse d’être une sacrée femelle ! Tu es trop forte ! Tu es trop faible ! Sors d’ici ! Reviens !… » Quand nous étions jeunes, nous disions : « On s’en fout ! » et nous utilisions nos seins en guise de boucliers. Mais nos larmes coulent si facilement quand on nous enlève l’amour ! » (p.168-169)
Écrit en 1962, Le Mangeur de citrouille insuffle une pensée féministe novatrice et offre une réflexion pertinente sur le statut de la femme et de la mère dans la société classique.
Le Mangeur de citrouille, Penelope MORTIMER, traduit de l’anglais par Jacques Papy, éditions Belfond, collection « Vintage », 2018 pour la présente édition, 250 pages, 16€.
Roman gracieusement envoyé par le service presse des éditions Belfond.