A dévorer !

« Sous le soleil de mes cheveux blonds », Agathe Ruga : parce que c’était elle, parce que c’était moi…

« Initials : BB ». Un « B » pour la jolie Brune, la narratrice du roman, vive, espiègle, hédoniste et fantasque. Un second « B » pour la mystérieuse et insaisissable Brigitte, surnom de son amie rencontrée au lycée et avec laquelle elle va éprouver la sortie de l’adolescence et l’entrée dans le monde adulte.

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Brune et Brigitte vivent ce qu’est parfois une relation amicale d’exception : une rencontre improbable qui pourtant se révèle fondatrice d’une mythologie à la fois personnelle et partagée, faite d’anecdotes légères et déjantées mais aussi de moments parfois graves. Sans doute est-ce là la définition de la fusion entre les deux amies, que les années vont bringuebaler : les études de médecine au succès relatif, la découverte de l’amour, la jalousie, les trahisons.

« A quoi a servi tout cela, sinon à nous rencontrer, nous côtoyer, nous déchirer ? » (p.109)

L’amitié de Brune et de Brigitte est comparable à un drap de coton : elles s’y vautrent, y versent des larmes – de rire, de chagrin -, en usent le fil selon des ébats plus ou moins frénétiques, le chiffonnent de colère mais, régulièrement, une bonne mise au point permet de le remettre à frais et d’y plonger dedans, de nouveau et avec délectation.

A bien des égards, le parcours de vie de Brune et de Brigitte tient du roman d’apprentissage en duo mais qui confère parfois au duel : l’amitié peut-elle survivre à tout ? Peut-on réellement jurer fidélité éternelle en amitié lorsque l’une vit son entrée dans le monde adulte avec toute la fougue et la jouissance que permet la jeunesse, tandis que l’autre est dans la retenue et la frustration ?

Il semblerait que non puisque, un jour, Brigitte rompt toute relation avec Brune. Aucune explication : la rupture semble consommée pour la blonde amie. Pourquoi a-t-elle décidé de stopper net son amitié avec Brune, alors que le « couple » avait vécu tant de moments ensemble, bons comme mauvais ?

« Oh, Brigitte. Comment peut-on quitter si brutalement les gens qui nous aiment. » (p.95)

« J’ai souvent essayé de me mettre à ta place. Pour comprendre le besoin que tu avais de m’éradiquer de ta vie. A quel point je devais être toxique pour que tu ne prennes même pas la peine de m’expliquer. Notre rupture m’obsède, et pourtant je ne me suis jamais vraiment remué les méninges sur le sujet de ton départ. » (p.195)

Brune n’a plus aucune nouvelle de Brigitte. Mais, lorsqu’elle tombe enceinte, elle retrouve une connexion mentale, parfois nocturne, avec son amie, percevant que cette dernière est elle aussi enceinte. La fusion semble donc bien vivante encore, même par gestations interposées. L’amitié peut-elle être retrouvée ? Peut-on redonner une autre chance en amitié comme en amour ? Doit-on juger Brigitte ?

« Les gens parfois disparaissent de nos vies sans mourir, sans guerre et sans cris. Nous avons grandi avec eux, certains nous ont tout appris, ils existent au plus profond de nous sans que jamais nous ne puissions le leur redire. Nous fermons la porte de nos souvenirs, nous serrons les mâchoires lorsqu’une musique nous ramène à eux, nous bâillonnons nos réflexes et nous rendons à l’évidence : nous ne les reverrons jamais. » (p.30-31)

« Tu es la seule personne qui m’ait refusé quelque chose, et pas des moindres : mon amitié. » (p.225)


Avec Sous le soleil de mes cheveux blonds, Agathe Ruga, booktubeuse de renom sur Instagram (« Agathe.the.book »), signe un premier roman qui mérite d’être applaudi à bien des égards.

Tout d’abord, la construction narrative : l’écrivaine opte pour l’entrelacement entre la genèse de l’amitié entre Brune et Brigitte, et le présent de Brune, enceinte de son deuxième enfant, en plein questionnement quant aux motivations de la rupture de Brigitte.

Ensuite, Agathe Ruga propose le plus pur roman initiatique que l’on puisse imaginer : un double parcours de vie centré autour de l’amour, de l’amitié, des études et de l’entrée dans le monde professionnel, la vie d’adulte et les responsabilités qui en incombent, les choix inhérents à toute décision. La maîtrise du genre est parfaite et aboutie. L’auteur n’a rien inventé au roman d’apprentissage mais témoigne d’une dextérité narrative brillante pour éviter les poncifs du genre.

En outre, elle questionne la thématique de la filiation maternelle : qu’est-ce qu’être une mère ? une bonne mère ? Peut-on trouver des substituts maternels lorsque l’on est en « carence » de mère ?

Enfin, la dualité est le principe romanesque qui me semble structurer toute l’œuvre d’Agathe Ruga : Brune et la blonde Brigitte ; Valéry, incarnation de la sagesse masculine confortable et Marceau le tentateur ; attraction et répulsion, qu’elles soient amoureuses ou amicales…

Néanmoins, ces multiples dualités se confondent en une unité narrative cohérente : celle d’un parcours de vie fait de cahots et parfois de sanglots, mais au dénouement résolument beau.

Ce roman est plus que jamais et malgré tout une magnifique une ode à l’amitié, absolue et entière :

« Tu ne voulais pas d’une meilleure amie casserole, divorcée, fille-mère. Pourtant je ne t’ai jamais menti, jamais trahie, toujours aimée. » (p.196)

« Ton absence me pèse autant car tu existes toujours. Si notre histoire est finie, notre amitié ne l’est pas. Elle perdure malgré nous car elle a eu un commencement, un début. Il y a un nous qui existe, des choses ont été dites. Toutes les amitiés seront évaluées à l’aune de celle-ci, sans le vouloir, comme pour un premier amour. Personne ne te devine à travers moi, personne ne peut savoir que tu fais partie de mon sourire, parfois de mon humour. A partir du moment où tu es entrée dans ma vie, rien n’a pu t’effacer, ni te soustraire. Tu es toujours là et nos maternités superposées ne sont pas le fruit du hasard. » (p.251)

Bravo chère Agathe Ruga : votre premier récit est une réussite ! Sa lecture est addictive : merci ! Belle continuation à vous…

J’ajouterai enfin que ce roman a une BO toute trouvée. Non, ce ne sera pas toutes les chansons de France Gall, lesquelles structurent pertinemment le roman en trois parties, mais ce titre des BB Brunes, « bande son » d’une relation amoureuse clé de Brune : « Confusions printanières ». Le parfait résumé d’un roman qui mérite d’être célébré !


Sous le soleil de mes cheveux blonds, Agathe RUGA, éditions Stock, collection Arpège, 2019, 297 pages, 18.50€.

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